Manifestation pacifique contre la charte à Québec

Plusieurs centaines de citoyens ont manifesté dans les rues de Québec samedi, pour dénoncer la Charte des valeurs québécoises.

Plusieurs centaines de citoyens de Québec - voilés, enturbannés ou dépourvus de tout signe religieux - sont descendus dans les rues de Québec dans le but de mettre en lambeaux la Charte des valeurs du Parti québécois. Une marche pacifique où se sont succédé les témoignages teintés par la haine... et la tolérance.


Derrière chaque voile, une histoire. Elles étaient des dizaines de femmes musulmanes à raconter samedi après-midi leur indignation devant la charte québécoise proposant entre autres d'interdire le port de signes religieux ostentatoires dans tout l'appareil étatique.

Besma a trouvé les dernières semaines épouvantables. Elle réside depuis cinq ans à Québec, mais n'avait jamais été insultée de la sorte. Une première fois, au milieu de l'autoroute Duplessis, où un conducteur l'a suivie de près pour ensuite lui balancer des injures concernant son voile et lui montrer un doigt d'honneur. Et cet autre incident, dans un stationnement d'un Walmart, où une dame a lancé : «Heureusement, on va se débarrasser de ces gens.»

«Je trouve que Mme Marois a fait son job; elle a créé un faux problème, elle a créé l'anarchie au lieu de la démocratie», s'insurge Besma. «C'est quoi ça? Est-ce qu'on a besoin de ça? La démocratie, c'est la liberté d'expression, de croyance. Je n'impose pas mon foulard. C'est mon identité. C'est très profond.» Elle se dit triste de vivre ces incidents malheureux, elle qui a toujours adoré sa terre d'accueil. «D'après mon expérience, je crois que les Québécois ont toujours eu une ouverture d'esprit», insiste Besma.

Sarabe Adbul-Hadi a vécu toute sa vie dans la capitale québécoise. «Ça me concerne, ça m'enlève un droit. Je suis Québécoise! Pourquoi je n'aurais pas le droit de mettre mon voile?» se demande aujourd'hui la jeune femme. Elle n'a pas reçu d'injure. Mais elle n'aime pas la tension dans l'air depuis quelque temps. «Depuis quelques semaines, j'ai peur. Ça a réveillé les racistes. Dans les autobus, partout, tout le monde me regarde un peu plus croche. Ça fait mal quand même. Avant, je le sentais, mais pas autant. Il y en a plus.»

Sa cousine Najate Adbul-Hadi sent aussi les regards. «Personne ne m'a dit quelque chose personnellement, mais on voit beaucoup plus les regards intimidants», raconte-t-elle. Son voile, c'est une partie d'elle-même. Pas question de le mettre au placard. «Je veux qu'on revendique nos droits. Si c'est notre choix de porter le voile ou de porter la kippa, peu importe, si c'est notre choix, c'est notre droit. De l'interdire, c'est m'interdire d'être qui je suis. Mon identité est brimée.»

Au-delà des injures, Najate accueille avec bonheur les tapes dans le dos. «J'ai reçu aussi des bons commentaires. Un monsieur m'a arrêtée dans la rue une fois et m'a dit : "Madame, moi ça ne me dérange pas que vous portiez votre voile." Ça m'a fait chaud au coeur! Personne ne me disait ça avant.»

Zakia Zoukri a aussi sa belle histoire. «J'ai un petit kiosque au marché Jean-Talon. Un jour, j'ai croisé un monsieur, il m'a dit : "Pourquoi madame tu portes ça? Tu dois retourner dans ton pays!" Moi, j'étais fâchée. Je lui ai dit : "Monsieur, vous ne connaissez pas la vraie histoire du Québec. Nous sommes tous des immigrants."» La suite du récit la fait encore sourire aujourd'hui. «Ce que j'ai aimé, c'est que tous les commerçants ont obligé le monsieur à sortir. Et ils ont dit : "La prochaine fois, si tu reviens, tu seras pas accepté ici." Je les remercie!»

«Ils n'ont pas la haine»

Tout en dénonçant la «tactique politique» du gouvernement provincial, elle a confiance de laisser son sort - et celui de son voile - entre les mains des Québécois. «J'ai vu quelque chose de très important chez les Québécois; ils aiment les immigrants. Ils n'ont pas la haine; ils veulent juste vivre en paix.»

Pour Khadija Zahid, la Charte des valeurs québécoises ne tient pas la route. Cette travailleuse de la fonction publique est incapable de voir en quoi son foulard crée des turbulences. «Je porte mon voile au travail dans la fonction publique, et je peux vous assurer que je n'ai jamais eu de conflit, de reproche sur mon travail ou mon comportement, lance-t-elle. Au contraire! Tout le monde m'estime et c'est réciproque. Je n'ai jamais pensé quitter ce travail ou ce poste parce que je porte le voile ou que je suis musulmane. Et pourtant, je suis la seule. Tous mes collègues sont Québécois. On s'entend très bien, ils se confient à moi. Je n'ai jamais eu de problème!»

Des appuis solidaires

La manifestation contre la Charte des valeurs québécoises a rassemblé samedi autant des musulmans, hindous, chrétiens que des simples citoyens inquiets de l'«exclusion» causée selon eux par l'initiative du gouvernement québécois.

Julien Hudon n'a pas d'amis ou de connaissances visés par la Charte des valeurs québécoises. Il ne pratique pas de religion, ne porte pas de signes ostentatoires. Mais il devait prendre part à la manifestation de samedi. «C'est trop une manoeuvre politique. On veut dénoncer ça», lance-t-il.

«Je trouve que c'est plus de l'exclusion que de l'intégration, cette charte-là, poursuit Julien Hudon. La liberté de culte et d'expression, c'est dans les droits de l'homme, et je pense que ça vient la brimer.»

«Je suis là pour le vivre ensemble, pour l'inclusion. La diversité dans notre société, c'est une richesse», affirme pour sa part Maude St-Denis. Je ne trouve rien de menaçant dans le fait que les gens affichent leurs symboles religieux.» Elle se disait épatée de voir dans la marche un mélange de gens attachés à leur religion - ou pas du tout. «Je trouve ça génial de voir ça à Québec. Je suis originaire de Montréal, et c'est sûr que lorsqu'on arrive à Québec, on est souvent un peu confronté à une mentalité différente. Mais je suis vraiment super contente de ce que je vois ici aujourd'hui.»

Droit fondamental

Roseline Bouchard est musulmane, mais personne n'aurait pu le savoir en se promenant à travers les manifestants. «Je suis une convertie à l'islam, mais je ne porte pas le voile. J'ai travaillé longtemps pour le patrimoine religieux du Québec - toutes confessions confondues. Et je trouve que le droit à la liberté religieuse, c'est vraiment fondamental en Amérique du Nord. La liberté religieuse, c'est ce qui a marqué notre identité depuis des siècles. On est en train de reculer sur un point historique!» Souverainiste convaincue, elle se désole de voir la trajectoire empruntée par le Parti québécois. «Le PQ se tire dans le pied. Il ne faut pas diviser les gens. Il ne faut pas faire de la petite politique, il faut unir les gens.» 

Touriste intrigué par la tourmente

Surinderjit Singh Bhella s'est retrouvé par hasard au milieu de la manifestation contre la Charte des valeurs québécoises. Venu visiter le Vieux-Québec avec sa famille, cet homme portant fièrement le turban a vite compris pourquoi il attirait l'attention. «Le gouvernement ne devrait pas se mêler de ces situations. Sur cette Terre, tout le monde a sa religion. Quand tu te rends au travail, ta religion te suit. Tu ne fais rien de mal. Il ne devrait pas y avoir de lois qui interdisent de porter un turban, une kippa ou un hijab», a soutenu celui qui est installé en Alberta depuis huit ans. À Calgary, le port de son turban ne génère pas de regard ou de discussion, ce sujet étant selon lui banal. «Il n'y a aucun problème. Même que si je ne porte pas mon turban une journée au bureau, les gens m'approchent et me demandent pourquoi je ne porte pas mon turban aujourd'hui.»