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Danielle Pinsonneault, vice-présidente de la Société d'histoire des Filles du Roy (SHFR), a un talent de conteuse qui lui vient de son ancien métier d'enseignante au primaire.
La SHFR a été fondée en 2010, juste le temps pour ses membres de réaliser que le 350e anniversaire de l'arrivée des Filles du Roy aurait lieu dans trois ans. Aussi bien dire : demain. L'aboutissement de tous ces mois de recherches et de démarches est en train de se vivre le long du Saint-Laurent.
Voilier rebaptisé
Parti de Rimouski vendredi, un grand voilier mouille actuellement à Tadoussac. Son vrai nom, c'est le Roter Sand et il appartient à ÉcoMaris, une école de voile. Mais pour la durée des commémorations de ce 350e, il a été rebaptisé du nom de celui qui a transporté les premières Filles du Roy de la France au Nouveau Monde en 1663, L'Aigle D'Or.
La SHFR a recruté 36 femmes qui personnifient les 36 vaillantes, âgées entre 12 et 45 ans, ayant franchi l'Atlantique dans des conditions éprouvantes, dans l'espoir d'un avenir meilleur. Elles jouent leur rôle avec conviction et animent les endroits où elles passent.
Leur traversée a duré 111 jours, relate Danielle Pinsonneault. Des 222 passagers, 60 sont morts et ont été jetés par-dessus bord. Douze ont été hospitalisés à leur arrivée et sont ensuite décédés. Près du quart, en somme, n'a pas survécu à la saleté, à la puanteur, au manque d'hygiène et de nourriture. Les filles, logées sur les ponts inférieurs, n'avaient qu'un seau pour leurs besoins. Ça vomissait partout. Et pas moyen de se laver.
Selon un dicton de La Rochelle : «Mieux valait aller à la guerre que de partir en mer.»
Sauf que les guerres de religion et la famine sévissaient en France. «L'État et Versailles prenaient tout», résume Mme Pinsonneault. Quitter la France relevait donc du rêve pour ces filles dont les deux tiers étaient orphelines et vivaient dans des maisons de charité.
Les historiens ont découvert qu'un autre bateau, beaucoup moins bondé, était parti de La Rochelle en même temps que L'Aigle D'Or. Or, il semble qu'un étourdi ait interverti les provisions de l'un et de l'autre. Ce qui explique que les Filles du Roy et leurs compagnons aient été si cruellement affamés pendant cette première traversée.
Celui qui deviendrait Mgr de Laval était sur le bateau lui aussi. Plusieurs lui doivent la vie, car il a, paraît-il, partagé la nourriture des privilégiés des ponts supérieurs avec les misérables d'en dessous.
Je passerai deux nuits sur L'Aigle D'Or avec une quinzaine de Filles du Roy. Nos couchettes superposées ne sont pas comparables aux lits du Château Frontenac, mais on sera au chaud et j'ai vu deux petites cabines qui ressemblent à des toilettes. L'essentiel pour passer une bonne nuit, quoi... Je vous raconterai.
Nos 36 Filles du Roy ont séjourné en France, entre le 3 et le 18 juin, pour se souvenir d'où elles viennent : Paris, Rouen, Dieppe, La Rochelle...
Les voici ces jours-ci dans les seigneuries disséminées le long du Saint-Laurent. Elles arriveront à Québec mercredi pour inaugurer les Fêtes de la Nouvelle-France. Le navire restera amarré dans le port pendant toute la durée des Fêtes.
L'Aigle D'Or prendra ensuite la direction de Trois-Rivières et Sorel. Il continuera sa route jusqu'à Montréal où il arrivera le samedi 17 août.
Danielle Pinsonneault rêve depuis trois ans de braquer les projecteurs sur ces 769 femmes dont la venue en Nouvelle-France a donné le coup d'envoi à son peuplement. «Louis XIV a mis le paquet», dit-elle avec vivacité. On a parlé de Jeanne Mance, des Ursulines et des religieuses de la Congrégation Notre-Dame. Mais ces femmes humbles et courageuses, il est temps que l'histoire se souvienne d'elles, plaide-t-elle.
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Les Filles du Roy se racontent
>> Mathurine Thibault (personnifiée par Jacqueline Asselin)
«Je suis née à Saumur, dans un milieu modeste. Quand ma mère est morte, j'ai élevé mes frères avec mon père. Puis il est mort, lui aussi. J'avais appris à être lingère au château de Saumur. Mais je ne me voyais pas lingère toute ma vie. On disait qu'il y avait de la terre pour semer du blé en Nouvelle-France, qu'on pouvait pêcher et chasser là-bas. J'avais espoir de manger à ma faim dans une maison chaude. À 31 ans, j'ai marché de Saumur jusqu'à La Rochelle pour monter à bord de L'Aigle D'Or. On a eu faim. Une chance que Mgr de Laval a partagé ses victuailles et ses herbes avec nous. Et on a manqué d'eau. Ils la désinfectaient avec du vin. Mais elle était "habitée". On la buvait à la noirceur en se disant que ça nous faisait des protéines. J'ai épousé Jean Milot à Ville-Marie.»
>> Anne Labbé (personnifiée par Andrée Jinchereau)
«Je vivais près de Blois. J'étais veuve. J'ai eu quatre enfants, dont deux morts. J'ai donc laissé les deux survivants à leurs grands-parents. Puis je suis partie en direction du Nouveau-Monde. Là, j'ai épousé Marc Girard, un colon français de 21 ans qui s'était établi à Château-Richer. Notre fille Anne est née en octobre 1665. Dans le recensement de 1666, son nom apparaît, ainsi que celui de son père. Mais pas le mien. Je suis morte à 38 ans. J'ai été la première Fille du Roy à mourir en Nouvelle-France.»