Le pipeline plus sécuritaire que le train

Le déraillement et l'explosion du train ont rasé une grande partie du centre-ville de Lac-Mégantic.

Plus dangereux que le pipeline, le train? Moins polluant? Un peu des deux? Troisième déraillement pétrolier en autant de mois au Canada, la tragédie de Lac-Mégantic a relancé le débat sur le transport du pétrole - au grand dam d'environnementalistes qui voient là un «faux débat».


La production de pétrole de schiste et de sables bitumineux au centre de l'Amérique du Nord a fortement augmenté ces dernières années, mais la capacité des pipelines n'a pas suivi, en partie à cause de la résistance de groupes locaux et environnementalistes. Les pétrolières se sont tournées vers le chemin de fer pour amener leur produit vers des raffineries, ce qui a fait passer de 8000 à 4,3 millions de tonnes par année les quantités de pétrole charriées par train depuis 2009, selon Transport Canada.

Et les accidents ont suivi la même courbe. Pas plus tard qu'en mai, un déraillement a causé un déversement de 91 000 litres de pétrole brut en Saskatchewan. En avril, 22 wagons ont quitté leurs rails en Ontario, renversant 63 000 litres de pétrole dans la nature.



Moins de risques

Si les experts trouvent bien des défauts à nos wagons et à la réglementation en vigueur (voir autre texte, page 9), d'aucuns avancent que le pipeline sera toujours plus sécuritaire.

«Il y a plusieurs choses à regarder, comme la proximité des résidences, tempère le chercheur en génie chimique de la Polytechnique de Montréal Gregory Patience. Vous savez, dans plusieurs villes, les chemins de fer passent par les centres-villes, alors que les pipelines passent habituellement loin des zones densément peuplées.»

De son côté, l'ingénieur-chimiste de l'Université de Sherbrooke Jean-Paul Lacoursière est catégorique : «Je suis persuadé que la solution pipeline est la plus sécuritaire.» Des incendies d'oléoduc peuvent toujours survenir, dit-il en substance, mais il faut une étincelle pour allumer un feu, et c'est beaucoup moins susceptible d'arriver dans un tuyau que dans un déraillement de train.



Des données récentes de la Pipeline and Hazardous Materials Safety Administration tendent à lui donner raison, d'ailleurs. L'organisme qui supervise le transport de matière dangereuse aux États-Unis a en effet calculé qu'entre 2005 et 2009, les pipelines ont fait 0,011 accident sérieux (ayant causé des blessures, des décès, au moins 50 000 $ de dommage, ou un incendie ou une explosion non voulus) par tranche de 1000 km, alors que ce taux était de 0,156/1000 km pour le chemin de fer, soit près de 14 fois plus.

Même en ne comptant que les accidents où c'était le déversement - et non une collision, par exemple - qui causait directement des blessures, le bilan des pipelines était trois fois meilleur que celui du rail.

Plus de pertes

D'un autre côté, cependant, il semble que le transport par pipeline perd trois fois plus de pétrole que le train, d'après une étude récente de l'Agence internationale de l'énergie. Les incidents sont plus fréquents en train, mais les quantités déversées par les pipelines sont en moyenne beaucoup plus importantes. Mais il s'agit là d'une pollution autrement moins dramatique qu'un accident comme celui de Lac-Mégantic, souligne M. Lacoursière.

Et de toute manière, dit le porte-parole du groupe environnemental Équiterre Steven Guilbeault, c'est un faux débat. «Même si ces pipelines-là sont construits, on va continuer à acheminer beaucoup de pétrole par train de toute façon. [...] C'est sûr qu'il faut faire le débat sur la sécurité, le type de wagon utilisé et la clause grand-père qui permet d'utiliser des wagons qui ne répondent plus aux critères actuels, mais il faut aller au-delà de ça. Tant que nous resterons dépendants du pétrole, il va continuer d'y en avoir beaucoup sur nos routes, sur nos rails et sur nos voies navigables. On s'en sort pas.»