Le 23 avril 2012 marque un tournant dramatique dans la vie de celui que tout le monde appelle Jeff Daigle. Ce jour-là, des vents de 100 km/h soufflaient sur la capitale. Les pompiers de Québec étaient débordés. Le capitaine de la caserne 17 s'était rendu sur l'avenue Raymond-Blouin où il y avait un début d'incendie.
«Un fil était dans les arbres. Il m'a touché. Je ne l'ai jamais vu.» M. Daigle venait d'être électrisé par une charge de 14 000 volts. Il doit la vie à ses collègues de la caserne Saint-Sauveur. Ils l'ont éloigné du fil, qui ballottait toujours après avoir touché sa victime à quatre reprises.
Le sapeur a repris conscience à l'unité des grands brûlés de l'Enfant-Jésus. Il avait subi des brûlures au troisième degré sur 20 % de son corps, principalement à la tête, au dos et à la jambe gauche.
Il est demeuré alité 74 jours au cours desquels il a subi de nombreuses greffes de peau. Malheureusement, sa jambe gauche était trop atteinte. Les tissus ne pouvaient se régénérer. «Lorsque le médecin m'a informé qu'il devait m'amputer, je m'en doutais déjà sans vouloir le croire vraiment», raconte le sapeur. C'était trois semaines après l'accident.
Dès lors, il a dû prendre une difficile décision. «Mon orthopédiste m'a donné le choix, poursuit-il. Si je voulais reprendre rapidement mes activités, il devait m'amputer en haut du genou. Il pouvait aussi garder l'articulation, mais cela impliquait plus de difficultés à surmonter à cause des greffes et une plus longue convalescence.» M. Daigle a opté pour cette seconde option.
«Lorsqu'on t'annonce une pareille nouvelle, le premier réflexe est de penser qu'on ne pourra plus avoir la même vie familiale et professionnelle. Cependant, dans les jours qui suivent, on t'explique les possibilités d'une prothèse. Surtout lorsque tu as toujours l'articulation», relate celui qui pratiquait des sports comme le jogging et le ski alpin.
Le mois d'août marquait son départ de l'hôpital vers le Centre de réadaptation en déficience physique du Québec. À ce moment, plus que jamais, il gardait confiance de retourner un jour dans le feu de l'action.
Être le premier au Canada
L'exemple de l'athlète olympique Oscar Pistorius est éloquent. Mais plus près de nous, Simon Mailloux, militaire de Québec amputé d'une jambe, est retourné en Afghanistan. Sur Internet, M. Daigle a lu les histoires de pompiers américains qui ont repris le boulot. Il tient maintenant à devenir le premier sapeur canadien à réaliser l'exploit.
«Mon ambition, c'est de retourner au feu. Je me fixe ça comme objectif», lance sans hésitation l'homme de 36 ans, qui dit avoir gardé un bon moral dans l'épreuve. Il a commencé à marcher avec sa prothèse en décembre. Il doit sa progression constante à sa bonne forme physique, mais aussi à son attitude positive, sans oublier son épouse et son garçon. «Je voulais pouvoir jouer de nouveau avec lui», insiste-t-il.
Lundi, il a repris le boulot graduellement à la division des communications du service de protection contre les incendies. M. Daigle marche sans canne et a même commencé à faire du vélo. Si le pire semble derrière lui, il sait bien qu'il devra encore travailler fort pour retrouver la véritable force et l'aisance qui lui permettront de revenir au combat.
«Je me donne encore un an pour atteindre mon but. Il faut laisser le temps aux greffes de bien guérir», précise le capitaine. Et s'il devait ne pas y parvenir, il prend comme une victoire le seul fait d'être en vie.
«C'est quasiment un miracle avec les décharges répétées que j'ai reçues. Quand on vit un événement comme celui-ci, on profite plus des moments passés avec nos proches. Dans mon cas, c'est une nouvelle façon de vivre qui est bien ancrée», conclut-il.