Vente des domaines religieux de Sillery: une question de survie

Le père Marcel Poirier des Pères Augustins de L'Assomption, soeur Hélène Marquis de la Fédération des monastères des Augustines de la Miséricorde de Jésus, soeur Céline Latulipe des Religieuses de Jésus-Marie et soeur Pauline Talbot  des Soeurs de Sainte-Jeanne d'Arc représentent les quatre communautés religieuses qui font front commun pour faire valoir leur droit de disposer de leurs biens.

Les communautés religieuses de Sillery ont besoin d'argent: pas question de vendre leurs terrains au rabais. Dans un front commun, elles revendiquent haut et fort le droit de vendre les terres patrimoniales aux promoteurs immobiliers. Et au prix du marché.


«Ce que nous voulons est de faire valoir notre droit fondamental à disposer de nos biens», lance soeur Céline Latulippe des Religieuses de Jésus-Marie.

Attablée dans une salle du Montmartre Canadien, elle a rencontré Le Soleil mardi en compagnie de soeur Pauline Talbot des Soeurs de Sainte-Jeanne d'Arc, du père Marcel Poirier des Pères Augustins de L'Assomption et de soeur Hélène Marquis de la Fédération des monastères des Augustines de la Miséricorde de Jésus.

Quatre communautés, un même message: elles sont chez elles sur ces terres qu'elles ont achetées et entretenues à grands frais souvent depuis plus d'un siècle. Et elles ont le droit de les vendre à leur juste valeur.

À l'heure où les communautés sont de plus en plus petites, l'argent manque. Les soins de santé des plus âgées coûtent cher et pouvoir vendre pour du développement immobilier est une question de survie. Rien de moins.

«Limiter ou interdire le développement nous pose des préjudices irréparables qui menacent la pérennité même de nos communautés. Obtenir une bouchée de pain pour nos actifs, c'est mettre en péril notre avenir», écrivent les quatre communautés dans une lettre ouverte au Soleil.

Ce texte reprend les grandes lignes du mémoire qu'elles présenteront ce soir à 20h lors de la première de trois journées de consultations publiques menées par le ministère de la Culture sur le plan de conservation du site patrimonial de Sillery, classé historique en 1964.

Alors que plusieurs citoyens s'opposent à tout développement sur ces terres le long du fleuve, les communautés sortent de leur discrétion habituelle pour mettre les pendules à l'heure. Et déboulonner certains mythes. Au premier chef, celui voulant qu'elles soient riches à craquer.

Développements souhaités

«Les gens ont l'impression que nous avons eu ces terres gratuitement. Il y a ce mythe aussi, voulant qu'on ait beaucoup d'argent», explique soeur Céline Latulippe dont la communauté a vendu en juillet pour 5 millions $ au promoteur Marc Simard un terrain derrière le Collège Jésus-Marie.

Les Soeurs Sainte-Jeanne d'Arc ont de leur côté déménagé leur cimetière en 2011, histoire de préparer le terrain pour le vendre. «On veut qu'il y ait des développements», confirme soeur Pauline Talbot.

Elle aussi estime que l'impression que les communautés religieuses sont prospères est fausse. Dans le mémoire conjoint, les Augustines chiffrent par exemple à 3 millions $ par année les dépenses occasionnées par les infirmeries.

Si elles jugent «convenable» le plan de conservation actuellement en consultation, les communautés ne veulent pas du statu quo ou «du moratoire présentement en cours», estimant en avoir déjà subi les «contrecoups» qui découragent les promoteurs privés. Pas question, donc, de se rendre aux arguments de ceux qui, comme l'ex-ministre Paul Bégin dans Le Soleil de mardi, souhaiteraient voir la Ville de Québec ou le gouvernement acheter leurs terres pour en faire un parc.

«On va être obligées de quasi le donner. Ou bien le gouvernement va décider que ça vaut tel prix, qui serait très peu face à la valeur marchande», déplore soeur Céline Latulippe.

Imposer un décret qui gèlerait toute possibilité de développement pour au moins deux ans est de «l'expropriation déguisée».

Expropriation déguisée

«L'expropriation déguisée, c'est quand le gouvernement met des normes, des conditions qui font qu'on reste propriétaires, mais qu'on ne peut plus rien faire avec les terrains, sauf l'obligation de les entretenir. Notre dernier droit est de couper le gazon», illustre avec un brin de sarcasme le père Marcel Poirier des Pères Augustins.

Il n'hésite d'ailleurs pas à lancer une petite pointe aux citoyens qui espèrent un tel dénouement.

«Les gens sont sincères», convient-il. «Mais c'est aussi désolant, car il y a beaucoup d'ignorance. On oublie que ces terrains ont été achetés et entretenus. Or, le fait que le terrain soit beau, ça ne nous donne pas une cenne de plus», lance-t-il.

Si les communautés sont pour la construction sur leurs terrains patrimoniaux, elles insistent toutefois pour parler de «développement intelligent».

Par «intelligent», elles entendent des projets «beaux, harmonieux et créatifs» conséquents avec l'arrondissement historique.

«Ce ne sera pas un développement sauvage», assure le père Marcel Poirier.

Cette sortie commune, qui promet d'être l'une des interventions les plus attendues de la consultation de ce soir, en surprendra peut-être certains. Même si soeur Odile Fortin a «mis la table» en expliquant la vente d'un terrain de Jésus-Marie dans Le Soleil de samedi, soeur Céline Latulippe croit que la façon de faire étonnera. «Je ne pense pas que les gens connaissaient trop notre opinion. Que les congrégations fassent front commun, ça va peut-être créer une surprise.»

«J'espère que les oreilles et les esprits seront ouverts», conclut pour sa part le père Marcel Poirier.

La position du maire inquiète les religieuses

Les communautés religieuses de Sillery se disent «inquiètes» par les propos tenus par Régis Labeaume. Dans Le Soleil de samedi, le maire de Québec a soutenu que sa position sur le développement des domaines patrimoniaux pourrait surprendre.

«Je ne suis pas très loin du comité de citoyens», a-t-il déclaré. «Je connais un paquet de promoteurs. Ils sont persuadés que je veux développer ça, mais je ne me suis jamais positionné là-dessus. Je n'ai jamais dit ça», pouvait-on lire.

«Le maire nous inquiète», a réagi soeur Céline Latulippe des Religieuses de Jésus-Marie. «Ses propos sont inquiétants parce que ce qu'il propose est le statu quo. Le statu quo est une menace à la survie de la communauté. Pour moi, c'est ça.»

Le père Marcel Poirier des Pères Augustins de L'Assomption s'est pour sa part dit surpris de la position du maire. «C'est étonnant car il y a deux ou trois ans, il semblait se montrer très compréhensif face à notre situation.»