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L'entreprise traîne encore les conséquences d'un épisode survenu le printemps dernier. Le géant de l'alimentation venait de perdre sa guérilla judiciaire contre une petite compagnie qui vend des produits de soins corporels fabriqués à partir d'huile d'olive. Son nom: Olivia's Oasis. Oasis, comme dans le jus Oasis. Lassonde n'a pas aimé et a pris les moyens pour défendre l'utilisation de sa marque de commerce.
Après un combat amorcé en 2005, la cour donnait raison à Olivia's Oasis. Sa propriétaire s'est ensuite adressée au tribunal pour que Lassonde lui rembourse ses frais juridiques s'élevant à 80 000$. Une fortune pour une PME dont le chiffre d'affaires dépasse à peine 250 000$. Le verdict tombe: elle devra acquitter ses frais.
Le 7 avril, La Presse s'emparait de l'histoire. Dans les heures qui suivront, ça deviendra le sujet de l'heure sur les médias sociaux, rapporte le spécialiste du marketing en ligne Philippe Colling dans son blogue intitulé Les jus Oasis (Lassonde) dans la tourmente des réseaux sociaux.
«"Moi, j'en bois plus du jus Oasis bon. Ma façon de protester!" lance, à 11h55, l'animateur Guy A. Lepage à ses 104 622 abonnés sur Twitter. À 14h30, #oasis est en première position dans les tendances de discussion sur Twitter au Québec. À 15h30, la page Facebook des jus Oasis ne dérougit pas de commentaires négatifs appelant le boycottage de la marque. À 17h05, les Industries Lassonde publient une nouvelle sur la page Facebook des jus Oasis pour expliquer leur point de vue. Vraisemblablement, cela ne suffit pas à calmer la contestation. La réponse de Lassonde génère des dizaines de commentaires encore plus négatifs. Finalement, à 20h15, Lassonde plie sous le mouvement de contestation et décide de rembourser les frais juridiques encourus par Olivia's Oasis», raconte le blogueur.
Le tour du monde!
«Avec les médias sociaux, les citoyens ont un pouvoir qu'ils n'ont jamais eu auparavant. Quiconque n'est pas content de quelque chose peut partir un truc viral et faire potentiellement beaucoup de dommages», a constaté Sylvain Lafrance, professeur associé à HEC Montréal et ancien vice-président principal des services français de Radio-Canada.
En compagnie de Marie-France Poulin, vice-présidente du Groupe Camada, de Marc Dutil, président et chef de la direction du Groupe Canam, et de P.-Michel Bouchard, pdg du Centre des congrès de Québec, il participait récemment à une table ronde organisée par le Cercle des administrateurs de sociétés certifiés sur la gestion du «risque réputationnel».
D'entrée de jeu, les conférenciers ont rappelé à leur auditoire que la réputation d'une entreprise, aujourd'hui, tenait non seulement à un fil, mais aussi à un tweet assassin. Dans ses pires rêves, P.-Michel Bouchard voit des clients quittant précipitamment l'une des salles de réception du Centre des congrès victimes d'un empoisonnement alimentaire.
«Avec les médias sociaux, un tel événement ferait rapidement le tour du monde. Cela entacherait notre réputation et celle de la ville de Québec. Nous, ce que nous vendons, c'est la réputation de la ville. Or, s'il arrivait que nous fassions un faux pas et que cela avait des répercussions à l'étranger par le biais des médias sociaux, non seulement nous aurions l'impression d'avoir anéanti les efforts de promotion que nous avons déployés ces dernières années, mais c'est certain que tout le monde nous haïrait à Québec.»
La gestion de risque
Avant de commencer à échafauder un plan en cas de dérapage, les conférenciers ont rappelé l'importance, pour une entreprise, d'adopter un comportement éthique et socialement responsable.
«Si vous n'avez pas de femmes au sein de votre conseil d'administration ou encore dans la haute direction de l'entreprise, il se peut que ça déplaise et que vous fassiez l'objet de critiques, car la population n'accepte plus, aujourd'hui, que les femmes soient absentes des lieux de pouvoir», a dit Sylvain Lafrance.
À son avis, les entreprises n'ont plus le choix et doivent se doter d'une politique de gestion des risques à l'égard de la réputation, d'une politique portant sur les réseaux sociaux ainsi qu'une réglementation interne sur l'utilisation des médias sociaux. «Moi, j'ai fermé mon compte Facebook, le jour où un travailleur m'a écrit pour me dire qu'il n'aimait pas son contremaître!» a raconté Marc Dutil dont l'entreprise compte 3500 employés.
«La question de la gestion de risque, ce n'est pas seulement l'affaire des dirigeants des entreprises, mais aussi des administrateurs», a soutenu Marie-France Poulin, qui siège au sein de nombreux conseils d'administration dont ceux de l'Université Laval, du Festival d'été de Québec, du Port de Québec, d'Hydro-Québec, de l'Industrielle-Alliance et de la Banque Laurentienne.
Marc Dutil a rappelé qu'il était du devoir des administrateurs de poser les questions pertinentes aux dirigeants des entreprises. «Avec la commission Charbonneau et tout ce qui passe dans l'industrie de la construction, il est arrivé, au conseil d'administration de Canam, que des administrateurs nous demandent à nous, les dirigeants : "Y a-t-il quelque chose que l'on devrait savoir?" N'essayez jamais d'endormir un conseil d'administration sur des questions d'éthique ou de réputation d'entreprise.»
«C'est notre rapidité d'intervention qui va faire que l'on réussira ou pas à préserver notre réputation», a soutenu P.-Michel Bouchard. Il a signalé que, récemment, un journaliste qui participait à un événement au Centre des congrès avait commencé à se plaindre sur son compte Twitter qu'il n'était pas bien placé pour faire son boulot. «Nous avons un bon système de monitoring qui nous a permis d'intercepter son message rapidement. Nous sommes allés à sa rencontre pour voir ce qui se passait et s'assurer qu'il avait tout ce qu'il faut pour faire son travail. Il semblait surpris de nous voir réagir rapidement.»
Une entreprise doit prendre les moyens pour tout savoir ce qui s'écrit à son sujet et s'empresser d'intervenir.
«Un jour, je m'achète un jeans chez Harry Rosen», a raconté Sylvain Lafrance. «Au premier lavage, il déteint. Même constat après deux et trois lavages. Les vieux trucs de ma grand-mère, comme le vinaigre et le sel, ne fonctionnent pas. Je vais sur le site du détaillant et j'écris: "Si vous achetez un jeans de telle marque, faites attention, il déteint lavage après lavage." Une demi-heure plus tard, je recevais un message sur mon compte Facebook du gérant du magasin qui m'invitait à aller le voir pour régler le problème. Ça, c'est du monitoring! L'entreprise a compris qu'il valait mieux intervenir rapidement avec ce client insatisfait avant que sa colère devienne virale.»
En terminant, Marc Dutil a invité les administrateurs à «rester du vrai monde» dans la nouvelle réalité imposée par les médias sociaux «et non des psychopathes corporatifs qui essaient de gérer ce que tout le monde pense».