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«Beaucoup de citoyens s'inquiètent de voir une construction contemporaine être érigée sur ce terrain. Les propriétaires disent que la nouvelle construction s'intégrera bien, mais on n'en a aucune garantie. Ma position, c'est que le pavillon déjà existant sur ce terrain doit avoir le titre de pavillon principal et si les propriétaires veulent l'agrandir, qu'ils le fassent par l'arrière en respectant le style du bâtiment», a confié M. Laframboise en entrevue au Soleil.
L'expert technique de l'Association des plus beaux villages du Québec va même plus loin en soulignant que Saint-Antoine-de-Tilly pourrait perdre son titre pour de bon cette année si jamais une construction contemporaine venait dénaturer le visage de ce secteur.
«S'il y a encore un faux pas qui est commis, moi, comme expert-conseil, je devrai soumettre le cas au conseil de l'Association et je vois difficilement comment je pourrais recommander le maintien de Saint-Antoine-de-Tilly, car un tel projet va à l'encontre de la politique patrimoniale du village», poursuit-il.
En 2011, l'Association avait failli retirer Saint-Antoine-de-Tilly de la liste, car le développement résidentiel s'harmonisait de moins en moins avec la beauté du paysage et les constructions patrimoniales.
Certains correctifs avaient toutefois été appliqués et le village avait sauvé son titre de justesse, mais devait être soumis à une autre évaluation en 2013. Celle-ci sera effectuée durant la prochaine saison touristique et une décision sera prise à l'automne.
Julien Lassonde, propriétaire de la résidence de style néo-Queen Anne, partage les préoccupations de M. Laframboise et de certains citoyens. «Ce serait dommage que le village perde son titre. Le fait de permettre une construction moderne ferait encore plus de dommages, car les maisons ont un style qui s'harmonise dans ce bout de rue là», explique-t-il.
Il avoue aussi que le projet pourrait lui causer certains ennuis. «C'est sûr que si la nouvelle maison est construite beaucoup plus loin, ça pourrait nuire à ma vue sur le fleuve. Et si je suis le seul à avoir une espèce de grosse maison moderne adjacente à ma propriété, je pourrais avoir de la misère à la revendre.»
Le comité d'urbanisme inquiet
Les membres du comité consultatif d'urbanisme de Saint-Antoine-de-Tilly sont inquiets eux aussi. «Nous ne sommes pas contre un bâtiment complémentaire, mais il faudrait qu'il respecte l'architecture, soit une maison patrimoniale en façade. On ne s'opposerait pas à de grandes fenêtres et un look plus contemporain à l'arrière, mais des baies vitrées partout en façade, ça jurerait avec ce qui existe dans ce secteur», explique Jérôme Pagé, l'un des membres du comité.
M. Pagé dit avoir rencontré les propriétaires du terrain. Le choix de l'architecte retenu pour la nouvelle construction, reconnu pour ses projets plutôt modernes, amènerait certaines inquiétudes. «C'est un architecte exceptionnel reconnu à l'international, mais qui n'a pas un style qui s'adapte avec notre rue principale, un secteur protégé dont la maison néo-Queen Anne est le joyau.»
Au conseil municipal de Saint-Antoine-de-Tilly, on confirme que plusieurs personnes s'inquiètent quant à l'appartenance à l'Association des plus beaux villages du Québec et à la vue sur le fleuve à la suite de la demande de dérogation mineure. «Nous attendons une recommandation du comité d'urbanisme qui devrait sortir prochainement. Ensuite, nous prendrons une décision», a déclaré le conseiller municipal Régis Lemay.
Un enfer pour les propriétaires du terrain
Yvette Cloutier et René Daigle, propriétaires du terrain voisin de la maison néo-Queen Anne de Saint-Antoine-de-Tilly, n'en peuvent plus de se battre afin de pouvoir y bâtir leur maison de rêve. «Si on avait su que ce serait aussi compliqué, on ne se serait pas embarqués dans un tel projet», confie la dame en entrevue au Soleil.
Le couple, qui réside déjà à Saint-Antoine-de-Tilly, a procédé en 2009 à l'achat du terrain sur lequel se trouve un petit pavillon dans l'espoir d'y construire une maison avec vue sur le fleuve. «À l'époque, l'urbaniste de la municipalité nous avait dit qu'on n'avait pas besoin de construire quelque chose de patrimonial, que la municipalité n'était pas exigeante et qu'on n'avait qu'à faire une demande de dérogation mineure», raconte-t-elle.
«On a au départ voulu lotir le terrain, ça a été refusé et on a laissé tomber. Ensuite, on a fait une demande de construction et on nous a dit que ce n'était pas conforme, puis on a fait notre demande de dérogation mineure et ça traîne», déplore Mme Cloutier, qui soupçonne l'Association des plus beaux villages du Québec d'en mener large dans ce dossier.
«Notre peur, c'est que ce ne soit pas la municipalité, mais M. Laframboise qui décide. On a voulu le rencontrer, mais il nous a dit que son travail était de s'occuper des municipalités et non des individus. Semble-t-il qu'il ne serait pas d'accord avec notre choix d'architecte, qu'on ne pourrait pas déplacer le bâtiment. On nous fait passer pour des gens bêtes et méchants, alors que ce n'est pas le cas du tout», poursuit-elle.
Mme Cloutier ne s'attendait pas du tout à ces embûches quand elle a acheté le terrain. «Quand on sait qu'un terrain est patrimonial, on sait qu'il y a des contraintes, mais ce n'est pas comme ça que ça nous a été présenté. Si on était libres, on ferait quelque chose de bien contemporain, mais on est quand même capables de mettre quelque chose de charmant, pas une grosse verrue.»
Le couple Daigle-Cloutier se félicite tout de même de ne pas avoir mis sa maison en vente avant que le dossier du terrain ne soit réglé. «On n'attend pas après ça pour se construire, mais on en est presque rendus à dire: "Rachetez-nous!" On n'est même plus chez nous, on ne se sent plus chez nous!»
Déjà des précédents
Depuis la création de l'Association des plus beaux villages du Québec en 1998, trois villages qui faisaient partie de la prestigieuse liste, à savoir Inverness, Marbleton et Stanbridge East en ont été retirés. Stanbridge East, en Montérégie, a été la première à perdre son titre, en 2006, suivie de Marbleton, maintenant fusionnée dans la nouvelle municipalité estrienne de Dudswell, en 2008, puis Inverness, au Centre-du-Québec, en 2009. «Ces villages ont reçu une liste d'éléments à corriger et quand ils seront confiants d'y répondre, ils pourront faire une demande de révision», indique Jules Savoie, directeur général de l'Association.
M. Savoie signale que le patrimoine architectural, mais aussi un paysage remarquable avec des percées visuelles et un beau noyau villageois sont les éléments pris en compte lors d'une évaluation. «Il faut faire attention aux insertions visuelles et aux insertions commerciales», met-il en garde.
L'expert-conseil Yves Laframboise indique pour sa part que dans le cas d'Inverness, Marbleton et Stanbridge East, des bâtiments moins bien entretenus et moins bien conservés avaient joué dans la décision de l'Association. «Il faut conserver l'alignement et l'allure originale des bâtiments. On n'exclut pas les constructions contemporaines, mais tout dépend d'où elles sont situées et de quelle forme elles prennent», résume-t-il.