Anciens combattants: vaincre les démons pour revivre

Après 17 années au sein des unités opérationnelles, André Boucher devient instructeur à la base de Valcartier. Lorsqu'on lui annonce, en 2001, qu'il pourrait retourner en mission, rien ne va plus. Il sera diagnostiqué un peu plus tard d'un choc post-traumatique.

Pour souligner le jour du Souvenir, Le Soleil vous propose le second portrait de combattants qui ont été victimes de choc post-traumatique après leur retour au pays. Aujourd'hui, André Boucher, qui demeure bouleversé par son séjour en Bosnie.


Un mois après la naissance de sa fille à laquelle il n'a pas assisté, André Boucher se réjouit à l'idée d'enfin la prendre dans ses bras. Mais à l'aéroport de Québec, le militaire de retour de Bosnie ne ressent aucune émotion lorsque sa conjointe lui tend leur enfant.

«J'étais complètement bloqué, il n'y avait rien ici», illustre l'ancien combattant âgé de 49 ans en posant sa main sur sa poitrine. Il apprendra des années plus tard qu'à ce moment précis, en retrouvant sa petite famille en sol québécois, il a vécu un des moments de dissociation les plus intenses de sa vie.



Les mois précédents ont été particulièrement éprouvants pour le commandant de section à la tête de huit hommes en mission sous l'égide des Casques bleus de l'ONU. En plus d'avoir perdu un de ses chauffeurs à l'été 1993, André Boucher n'obtient pas la permission d'assister à la naissance de sa fille. Il assiste plutôt pendant cette période à des scènes d'horreur en visitant deux hôpitaux psychiatriques laissés à l'abandon avec ses occupants. Il y côtoie la mort et la souffrance extrême alors qu'un intolérable sentiment d'impuissance l'habite.

Quelques semaines plus tard, il se voit contraint d'exécuter des ordres qu'il juge insensés : quitter le petit village bosniaque de l'enclave de Srebernica, où lui et sa section sont postés, alors que l'armée serbe les entoure. Lorsque les villageois s'aperçoivent que leurs protecteurs plient bagage, ils leur bloquent le passage. André Boucher donne l'ordre à ses hommes de forcer le passage.

«Ils nous ont lapidés», raconte-t-il, encore bouleversé par l'épisode et rappelant que deux ans plus tard, c'est dans ce secteur que plus de 8000 personnes seront massacrées.

En arrivant au camp de base, le commandant honteux est abasourdi de recevoir les félicitations de son supérieur, alors que les membres de son équipe sont atterrés. Pour apaiser leur souffrance, le sergent Boucher les conduit au médecin de campagne pour qu'ils puissent se vider le coeur.



Mais jugeant qu'un leader ne doit pas montrer des signes de faiblesse, André Boucher se place en retrait et ravale ses larmes. Jusqu'au jour où celles-ci, des années plus tard, seront intarissables.

Le choc

Après 17 années au sein des unités opérationnelles, le sergent Boucher devient en 1998 instructeur à la base de Valcartier. «Cela a créé une espèce de vide parce que je n'étais plus tout le temps sur le qui-vive», explique-t-il. Mais lorsqu'on lui annonce, en 2001, que sa candidature a été retenue pour un cours d'adjudant - ce qui signifie qu'à moyen terme, il retourne en mission -, rien ne va plus.

Mais avant sa tête, c'est son corps qui le lâche. «C'est lui qui s'est réveillé en premier», illustre André Boucher, expliquant avoir eu des maux d'estomac, de dos et même l'impression d'être affligé d'une maladie cardiaque. Puisque les médecins le déclarent en parfaite santé, il décide de consulter un psychologue qui «jouera» dans son passé.

S'ensuit rapidement un séjour de trois semaines à l'aile psychiatrique de l'Hôtel-Dieu de Québec, où il est diagnostiqué d'un choc post-traumatique lié à sa mission en Bosnie. Sa vie s'écroule. Il se sépare, déménage et, en 2004, est libéré des Forces armées après quelques tentatives de retour au travail infructueuses.

Ce n'est qu'en 2008 qu'il sent qu'il remonte tranquillement la côte après une thérapie de groupe destinée aux anciens combattants aux prises avec une dépendance - dans son cas, c'est l'alcool -, à la clinique TSO de Loretteville. Et toujours avec une rigueur de militaire, il entreprend de terminer son secondaire.



«Cela fait quatre ans que je suis devenu un civil, mais dans le fond de moi, je ne fais pas partie de ce monde-là. J'ai tellement été endoctriné», explique André Boucher, qui souffre toujours dans sa quête d'identité. «Je suis entré dans les Forces à 17 ans, c'était toute ma vie», rappelle celui qui tente aujourd'hui de la combler sur les bancs d'école, mais aussi dans la salle de gym et sur les planchers de danse.

Et s'il entretient l'espoir d'être un jour capable de revivre une relation intime et de voyager à l'étranger, celui qui aura 50 ans en mai ne se fait pas d'illusion et sait qu'il a beaucoup de démons à combattre avant d'y arriver.