Les musulmans doivent se redéfinir pour s'enraciner au Québec

En France, des lopins intégrant une mosquée, où les tombes sont orientées en direction de la Mecque, sont aménagés au coeur de cimetières publics existants.

La communauté musulmane du Québec est à la croisée des chemins. Tout en construisant ses propres institutions, elle doit aussi redéfinir un «nouvel islam» harmonisé à sa société d'accueil.


Khadiyatoulah Fall est lui-même de confession musulmane, mais aussi responsable de la Chaire d'enseignement et de recherche interethniques et interculturels à l'Université du Québec à Chicoutimi, qui se penche justement sur ces questions. À son avis, le temps est venu de définir un «islam du Québec» par rapport à un «islam au Québec». Ou, dit-il également, un «islam d'implantation plutôt qu'un islam transplanté».

Les musulmans sont de plus en plus nombreux au Canada, et un nombre toujours croissant d'entre eux naissent ici, dit-il. «Ce ne sont pas des musulmans d'ailleurs, ce sont des musulmans d'ici.»



Dans un cadre d'islam minoritaire, au sein d'une société qui se sécularise et met de l'avant certaines valeurs, l'égalité des hommes et des femmes, la solidarité, la démocratie, les musulmans doivent faire émerger ce qui appartient déjà à leur religion et qui est en concordance avec ces valeurs. Car contrairement à ce que certains veulent faire croire, les valeurs de la société québécoise ne sont pas en rupture avec l'islam. Et c'est justement parce que ces valeurs correspondent à leurs aspirations que beaucoup ont émigré ici, dit-il.

Il considère d'ailleurs que «le Québec est un pays de nuance», qui offre cette possibilité d'insertion harmonieuse.

Des rites à favoriser

Intégration ne veut pas dire renoncement aux croyances et aux rites. À ses yeux de chercheur, il y a des pans importants qui rythment la vie de tout être humain et qui manquent encore cruellement à sa communauté.



Lui-même a par exemple écrit un livre sur les rites entourant la mort. Présentement, dit-il, une majorité de musulmans sont rapatriés dans leur pays d'origine lorsqu'ils meurent, car il n'y a au Québec qu'un seul cimetière - à Montréal - consacré à ce groupe. Même des musulmans de seconde génération, nés ici, sont renvoyés dans le pays de leurs parents, dit-il.

Il y a pourtant des cimetières juifs, protestants, catholiques, dit-il. Selon lui, des lopins intégrant une mosquée, où les tombes sont orientées en direction de la Mecque, pourraient facilement être aménagés au coeur de cimetières publics existants comme c'est le cas en France.

Le fait de devoir être rapatrié après sa mort est selon lui un indicateur d'intégration incomplète, qui mérite que l'on s'y arrête.

Il en va d'ailleurs de même selon lui du mariage de la seconde génération. Traditionnellement, les parents trouvaient un mari ou une femme à leur enfant. Les musulmans nés ici voient les choses d'une autre façon. Et entre le mariage religieux et les lois civiles qui régissent les unions, il y a un manque de concordance.

C'est vrai dans le cadre du mariage, quant aux droits des époux, c'est vrai aussi lors d'un divorce, dit-il.

«Contrairement à ce que certains veulent faire croire, l'islam est en train de s'installer au Québec de manière sereine et harmonieuse. Ça se fait dans l'ajustement et le compromis. Mais les musulmans ont des revendications qui sont légitimes et qui doivent être entendues», conclut le professeur.