«Ben oui, je suis ce genre de nerd là!» rigole le professeur Bernatchez. Il a toujours voulu travailler dans un domaine en lien avec la nature, la biologie s'est donc imposée, mais les poissons, ce n'était pas sa première passion. «Quand j'étais petit, j'allais pêcher, mais c'était pour le curé, pour nourrir ses chats», se souvient-il. C'est de fil en aiguille - ou de fil en hameçon - que les poissons se sont imposés.
Dans le laboratoire de Louis Bernatchez, la recherche en génomique et sur le séquençage ADN des poissons est poussée. «À quoi bon?» diraient certains. «Il y a trois applications courantes», d'expliquer le chercheur. «Ça permet d'améliorer la production en aquaculture, de gérer la population naturelle des poissons et de savoir si le poisson mentionné sur le menu du resto est bien celui que vous avez dans votre assiette», énumère-t-il.
En aquaculture, la connaissance du bagage génétique des poissons est précieuse, puisqu'elle permet de sélectionner des poissons plus résistants aux maladies, ou qui ont une croissance rapide. Le tout se fait naturellement; les organismes génétiquement modifiés (OGM), ce n'est pas le filon de Louis Bernatchez.
La gestion des populations de poissons est aussi facilitée par les recherches de l'expert. «Le saumon de l'Atlantique est en déclin, affirme-t-il. Mais on veut à la fois protéger l'espèce et garder les activités de pêche.» Devant ce dilemme, les autorités compétentes ont instauré une politique de remise à l'eau des saumons pour qu'ils se reproduisent. Plutôt frustrant pour les pêcheurs, qui ont tôt fait de se demander si, après s'être débattus 15 minutes au bout de la ligne, ces saumons seraient aptes à la reproduction.
Pour avoir la réponse, à la belle saison 2012, les autorités mandatent le laboratoire de Louis Bernatchez pour faire des échantillonnages s'apparentant à des tests de paternité et de maternité sur les poissons. Absurde? Non. Les résultats sont convaincants, la pêche aux saumons ne nuit pas à leur reproduction. Il est donc beaucoup plus facile de convaincre les pêcheurs de la nécessité de remettre leurs prises à l'eau quand une explication scientifique vient appuyer la réglementation.
Innovateur
«Ça n'a jamais été fait ailleurs dans le monde, mentionne-t-il, c'est innovateur parce que c'est une utilisation judicieuse d'outils de pointe pour régler des questions quotidiennes.» Et quand on pense qu'au Canada, la pêche sportive représente
2 milliards $ en retombées directes, 7 milliards $ en retombées indirectes, que cela génère bon nombre d'emplois, souvent en région, il serait dommage de prendre des décisions non fondées scientifiquement.
Le laboratoire de Louis Bernatchez fait partie des leaders mondiaux pour ce qui est de l'utilisation de la génétique pour la conservation et la gestion des populations aquatiques. Mais l'expertise développée sert à bien d'autres domaines. «On se sert des mêmes méthodes pour le braconnage de la grande faune, comme les orignaux et les cerfs de Virginie», relate-t-il. L'ADN prélevé sur une carcasse braconnée sert à repérer la viande qui en provient. L'expertise en la matière a été transférée au gouvernement du Québec. Avis aux chasseurs délinquants...
Nouvelles espèces
Louis Bernatchez est aussi passionné par la recherche fondamentale : comprendre et documenter l'origine des espèces et la formation de nouvelles espèces. À se demander s'il n'y a pas un peu d'ADN de Darwin dans celui de Bernatchez. En 2011, il a procédé à un vaste séquençage des poissons d'eau douce d'Amérique du Nord. «On pensait qu'à des endroits géographiquement différents, il y avait les mêmes espèces, mais on s'est rendu compte qu'il y avait des différences notoires dans leur ADN. Dans certains cas, il y avait jusqu'à 15 % de différence génétique, alors qu'entre l'humain et le chimpanzé, il n'y a que 2 % de différence», explique-t-il.
Sur 750 espèces de poissons étudiées, 130 nouvelles espèces ont été répertoriées. «Ça fait 28 % d'espèces de plus! Selon leur milieu de vie, les espèces évoluent et se spécifient», mentionne Louis Bernatchez. Devant ce processus évolutif rapide, le professeur s'est lancé dans des recherches en évolution appliquée : comprendre et gérer l'adaptation des espèces. «La pêche commerciale a toujours voulu pêcher des gros poissons. Certains ont évolué en devenant plus petits et passent donc entre les mailles du filet. Il faut réaliser ces changements pour adapter les méthodes et mieux comprendre les problèmes», explique celui qui est aussi rédacteur en chef de la seule revue qui traite d'évolution appliquée.
Et si ce concept de biologie évolutive rapide est valable pour les poissons, c'est valable aussi pour les bactéries, les microbes. Des chercheurs sur le cancer se sont d'ailleurs emparés de la chose. Comme quoi pêcher des poissons pour les chats du curé mène loin.