Commémoration de la guerre de 1812: un conflit, deux versions

Des acteurs personnifiant des soldats britanniques ont participé à la reconstitution d'une bataille pour le tournage du documentaire The War of 1812.

En célébrant en grande pompe la guerre de 1812, le gouvernement tente de créer un mythe selon lequel les Canadiens français se sont battus pour sauver le Canada. Or, c'est plutôt l'inverse, puisqu'un nombre important de miliciens ont refusé de prendre les armes contre les Américains, selon un historien militaire québécois qui a consacré plus de 30 ans à décortiquer les tenants et les aboutissants de cette guerre.


«C'est comme s'ils essayaient de nous faire croire que les Canadiens français se sont battus pour la reine, ce qui est absolument faux», déplore Luc Lépine, au sujet des commémorations du bicentenaire de l'événement pour lequel le fédéral consacre 28 millions$. «Ils défendaient leurs familles, leurs femmes et leurs terres contre la possibilité d'une invasion.»

Le docteur en histoire, qui reproche au premier ministre Stephen Harper de récupérer la guerre de 1812 pour en faire la pierre angulaire de la création du Canada, prépare un ouvrage sur celle-ci qui sera publié à l'automne aux Presses de l'Université Laval.



Selon lui, s'il est vrai que des citoyens du Bas-Canada sont montés au front aux côtés de ceux du Haut-Canada et d'autochtones pour défendre le territoire contre une nouvelle tentative d'annexion des États-Unis, c'est qu'on leur a forcé la main. Dans ses recherches, M. Lépine a découvert que de 1812 à 1815, les miliciens canadiens-français ont été soumis à un niveau de propagande «inégalé» jusqu'à la Première Guerre mondiale.

Il explique que le gouvernement britannique, qui dirigeait le Bas-Canada depuis plus de 60 ans, voulait obtenir l'appui de la population francophone pour s'assurer une victoire contre les troupes américaines «qui menacent d'envahir la province». Pour y parvenir, dit Luc Lépine, les Britanniques se sont notamment servis du clergé et des journaux.

C'est que le gouverneur du Bas-Canada de l'époque, George Prevost, s'est rendu compte au printemps 1812 qu'il disposait que de très peu de soldats en cas d'attaque. Après une campagne de recrutement plus ou moins réussie, il décide, en mai 1812, d'imposer la conscription pour tenter de grossir les rangs de la milice de 2000 hommes âgés entre 18 et 30 ans.

Déserteurs



L'opération connaît des problèmes. Par exemple, dans la région de Boucherville, 138 miliciens doivent se joindre au bataillon de Montréal, mais seulement 20 d'entre eux arriveront à bon port. Les autres «se perdent» en forêt. Et sur les 1200 nouveaux miliciens recrutés, nombre d'entre eux quittent illégalement le camp, explique M. Lépine.

Des déserteurs ont même été emprisonnés à Lachine, lieu d'une émeute historique contre la conscription de 1812, selon l'historien et enseignant au Cégep du Vieux-Montréal Gilles Laporte. Celui-ci croit que ce soulèvement, où plusieurs miliciens ont tenté de libérer leurs concitoyens, prouve que l'unité canadienne tant célébrée par le gouvernement conservateur n'est que fiction. Deux hommes ont même perdu la vie dans l'escarmouche.

Révisionnisme?

Les deux historiens ne sont pas les premiers à souligner ce qu'ils estiment être de la «récupération» par le gouvernement Harper. Cette semaine, un de leurs collègues, Jacques Lacoursière, s'était insurgé dans Le Devoir contre l'idée que la guerre de 1812 aurait pu jouer un rôle dans la protection du fait français.

L'attaché de presse du ministre du Patrimoine, James Moore, affirme que le gouvernement respecte l'opinion divergente de ces spécialistes. «Ce n'est pas du révisionnisme», souligne par ailleurs Sébastien Gariépy, selon qui la guerre est «une étape majeure» dans l'histoire du Canada, puisque tous les habitants du Haut et du Bas-Canada ainsi que les autochtones ont fait front commun contre l'ennemi.

De Salaberry, le vrai héros



Selon le docteur en histoire Luc Lépine, la guerre de 1812 est en fait une succession de petites batailles qui se sont soldées en février 1815 sans véritable vainqueur. Tout de même, le spécialiste croit qu'il est important de souligner la bataille de Châteauguay, où le commandant des Voltigeurs canadiens, Charles-Michel De Salaberry, a «influencé la politique militaire canadienne au XIXe siècle».

Le 26 octobre 1813, De Salaberry et 300 miliciens ont repoussé une armée de soldats américains de plus de 3000 hommes, ce qui est à l'origine du «Militia Myth», selon lequel le Canada n'avait pas besoin d'investir beaucoup d'argent pour se défendre.