Campagne d'Éduc'Alcool pour la Saint-Jean: les métaleux en colère

Plusieurs musiciens interrogés par Le Soleil estiment que la campagne publicitaire d'Éduc'alcool pour la Saint-Jean-Baptiste représente les amateurs de metal de façon inexacte et stéréotypée.

La plus récente campagne d'Éduc'Alcool orientée vers les festivités de la Saint-Jean sur les plaines d'Abraham provoque la colère des musiciens et autres acteurs de la scène metal du Québec, qui y voient un ramassis de préjugés envers les amateurs de ce style musical qui sont dépeints comme des «colons» qui abusent de l'alcool.


Dans la campagne publicitaire intitulée «Êtes-vous patriotes ou colons?» qui se déploie sur des placards publicitaires et sur le site de réseau social Facebook, on présente deux groupes de fêtards. Ceux qu'on y appelle les «patriotes» sont dépeints comme des jeunes vêtus sobrement et drapés dans le fleurdelisé.

Quant à ceux qu'Éduc'alcool qualifie de «colons», ils sont représentés par deux individus éméchés, l'un arborant les cheveux longs et un chandail metal, et les deux faisant avec leur index et leur auriculaire un signe bien connu sous le nom de hook'em horns dans la communauté metal. Le hook'em horns est également utilisé à plusieurs endroits sur la page Web pour représenter les «colons».



«Ça n'a aucun sens, mais je ne suis pas surpris. Le Québec a une mentalité primitive au sujet des métaleux. Pourtant, je suis un métaleux, mais pas un colon. Je travaille chez CGI, je suis professionnel de l'informatique depuis 15 ans et ma compagnie est une entreprise très corporate qui n'a rien à voir avec des colons», lance Martin Bouchard, président de Capitale du Metal, qui gère un site Web et organise de 20 à 40 spectacles metal par an à Québec.

«Je suis très offensé par cette publicité», lance pour sa part Phil Dakin, bassiste et chanteur du groupe montréalais Dead Brain Cells, pionniers du thrash metal au Québec. «C'est insultant pour les métaleux, mais ça l'est aussi pour ceux qui aiment prendre quelques verres et avoir du plaisir. C'est très à côté de la réalité et bourré de préjugés.»

Dan Mongrain, guitariste du légendaire groupe speed metal Voivod, parle pour sa part de stéréotypes faciles et d'une campagne minable. «C'est discriminant, bas et erroné. Il y a des buveurs abusifs d'alcool dans tous les groupes d'âge et toutes les catégories de gens. C'est très réducteur de pointer seulement une catégorie», affirme-t-il.

«De mettre une connotation de colon sur l'image d'un métaleux éméché met l'emphase sur le fait que les métaleux seraient tous des buveurs qui n'ont pas de savoir-vivre. Pour avoir joué un peu partout sur la planète devant des dizaines de milliers de personnes, je peux confirmer que c'est un phénomène bel et bien existant, mais minoritaire», poursuit Mongrain.



«Dégueulasse»

Qualifiant la publicité de «dégueulasse», Jef Fortin, guitariste du groupe speed metal Anonymus, affirme aussi que la représentation des amateurs de metal y est inexacte. «Lors des célébrations comme la Saint-Jean-Baptiste, j'ai souvent remarqué que les épais et les épaisses qui se ramassaient à vomir partout dans les buissons à 23h étaient souvent des personnes ordinaires, généralement vêtues du drapeau du Québec. Les plus détruits que j'ai vus ressemblaient étrangement à la catégorie "patriotes" et non pas à la catégorie "colons".»

Ce point de vue est partagé par les créateurs montréalais du site Web Encyclopaedia Metallum: The Metal Archives, l'un des sites Web les plus complets consacrés à ce style musical. «C'est un peu désolant [...]. Ironiquement, ni moi, ni [mon associé] Morrigan ne consommons d'alcool du tout. [...] Je vais voir des concerts metal régulièrement depuis environ 12 ans et je dois dire que c'est extrêmement rare que qui que ce soit cause du trouble», déclare celui qui se fait appeler HellBlazer.

Plusieurs musiciens interrogés par Le Soleil croient qu'Éduc'alcool aurait pu viser juste en adoptant une autre stratégie. «Je crois qu'une campagne plus efficace aurait été de prendre exactement les mêmes personnes sur les deux photos et de les mettre dans les contextes "éméchés" et "civilisés" pour faire la différence», conclut Dan Mongrain.

Mononc' Serge philosophe

Le bassiste et chanteur Serge Robert, alias Mononc' Serge, qui a participé à deux albums metal avec le groupe Anonymus et pris part à plusieurs spectacles de la Saint-Jean, s'est fait philosophe quand Le Soleil lui a demandé son point de vue sur la dernière campagne d'Éduc'alcool.

«Je connais bien les personnages à droite [les colons]; par contre, j'ai pas vraiment souvenir d'avoir rencontré ces "patriotes" proprets qui sont dépeints à gauche. D'après mon expérience des Saint-Jean, ceux qui s'affublent de capes aux couleurs du Québec sont d'habitude bien paquetés eux aussi, mais au moins, ils ont l'excuse de l'ébriété. J'aurais de la misère à choisir entre les deux groupes : c'est un peu comme choisir entre la peste et le choléra!», a-t-il déclaré avec l'humour qu'on lui connaît.