Il y a 70 ans... les U-boats remontaient le Saint-Laurent

Sous-marin allemand : Un U-boat type VII pouvait couvrir de 7 000 à 15 000 km, emporter une quinzaine de torpilles et être armé d'un canon de 88 mm.

Dans le sillage de leurs torpilles, les sous-marins allemands, les fameux U-boats, ont causé leur lot de destructions et de morts dans le fleuve Saint-Laurent. Nombre de rumeurs en ont été engendrées : non seulement les sous-mariniers allemands y auraient remporté une grande victoire militaire mais ils accostaient au premier village côtier venu afin de glaner des renseignements ou de boire un verre. Considérée par certains comme une humiliation pour le Canada, cette bataille est, pour d'autres, le prix payé par la Marine royale du Canada pour avoir combattu l'ennemi loin de chez elle.


Dans le sillage de leurs torpilles, les sous-marins allemands, les fameux U-boats, ont causé leur lot de destructions et de morts dans le fleuve Saint-Laurent. Nombre de rumeurs en ont été engendrées : non seulement les sous-mariniers allemands y auraient remporté une grande victoire militaire mais ils accostaient au premier village côtier venu afin de glaner des renseignements ou de boire un verre. Considérée par certains comme une humiliation pour le Canada, cette bataille est, pour d'autres, le prix payé par la Marine royale du Canada pour avoir combattu l'ennemi loin de chez elle.

«Torpedo los!»

En cet été 1942, les sous-marins nazis règnent en maître sur l'Atlantique. Opérant en meutes, ils harcèlent les convois alliés qui doivent rallier le Royaume-Uni, l'URSS et l'Afrique du Nord. En raison de l'importance du port d'Halifax, ils rôdent au large de la Nouvelle-Écosse et de Terre-Neuve. Leurs incursions dans les eaux canadiennes en mai 1942 engendrent alors une bataille mal connue, la bataille du Saint-Laurent. Tout commence le 10 mai 1942 lorsque le U-553 coule deux cargos au large des côtes gaspésiennes. Cette attaque soulève l'émoi autant chez les militaires que dans la population civile qui ne s'attendait pas à voir l'ennemi si près de ses côtes. Elle n'est pourtant en rien le résultat d'un plan établi par la marine allemande; à la suite d'ennuis de machines, le U-boat est entré dans le Golfe du Saint-Laurent afin d'effectuer des réparations et de trouver des cibles faciles.

Les Alliés et les Allemands considèrent le Fleuve comme un objectif secondaire. Même s'ils savent que la Marine royale du Canada (MRC) affecte ses navires à la protection des convois de l'Atlantique et qu'elle ne peut que déployer qu'une demi-douzaine de navires dans le Saint-Laurent, les Allemands n'échafaudent pas de plan précis. Quant aux Alliés, ils doivent se fixer des priorités en fonction de leurs ressources limitées. La protection des convois accaparant de nombreux navires d'escorte, des routes commerciales situées le long de la côte est américaine, dans le golfe du Mexique et dans les Antilles sont dépourvues de toute protection. Soucieuse d'honorer les demandes de la Royal Navy, la MRC néglige la protection du Fleuve au profit du golfe du Mexique et de la Méditerranée. Les cinq corvettes dépêchées dans le Fleuve ne peuvent ainsi empêcher le torpillage de quatre cargos par le U-132 en juillet 1942. Pour ajouter aux difficultés de la MRC, les navires de guerre ont du mal à détecter les submersibles dans les eaux du Saint-Laurent car la rencontre de l'eau salée et de l'eau douce nuit à leur sonar. Malgré les patrouilles aériennes menées entre autres depuis Gaspé (Qc), les U-boats mènent le bal. Forts de leurs attaques contre des ports du Labrador et de Terre-Neuve et contre un convoi dans le détroit de Belle-Isle, les U-513, 517 et 165 s'engagent à leur tour dans le Fleuve. À lui seul, le U-517 coule neuf navires dont la corvette NCSM CHARLOTTETOWN. Le yacht armé RACCOON est coulé corps et biens par le U-165 au large de Sainte-Anne-des-Monts.

Fermeture du Fleuve

Dépité par ces pertes - pourtant loin d'être lourdes de conséquences - le gouvernement canadien ordonne le 9 septembre la fermeture du Saint-Laurent à la circulation transatlantique. Si cette décision laisse penser que le Canada a perdu la bataille, elle n'apporte aucun gain stratégique aux Allemands puisque l'acheminement de ravitaillement et de matériel n'est absolument pas interrompu. Les marchandises transportées par mer de Québec et Montréal à Halifax le sont dorénavant par chemin de fer. Non seulement les risques de pertes de vie et de navires sont réduits au minimum mais les convois de New York et d'Halifax n'ont plus à attendre ceux de Québec et de Montréal pour appareiller. Malheureusement, en octobre suivant, le traversier SS CARIBOU, pourtant escorté par le dragueur NCSM GRAND-MÈRE, est coulé par le U-69 qui le croise par hasard dans le détroit de Cabot. Les flots se referment sur 131 des 237 passagers. En novembre, le U-518 coule deux cargos et en endommage un autre dans la baie de Conception, à Terre-Neuve. En 1943, découragée par l'importance des patrouilles aériennes menées entre autres depuis Mont-Joli, le commandement de la Marine allemande interdit toute attaque dans le Fleuve.

Espions et station météo

Si les U-Boote ne font jamais escale dans les villages côtiers et si les sous-mariniers n'y font jamais danser les filles, ils débarquent en revanche deux espions dont le lieutenant M.A. Langbein dans la baie de Fundy (N-B) le 14 mai 1942. Le 5 novembre suivant, le U-518 dépose l'agent Werner von Janowski à New Carlisle, en Gaspésie. Si ce dernier est rapidement épinglé par la GRC, le Lieutenant Langbein se constitue prisonnier en novembre 1944. Par ailleurs, en septembre 1943, une tentative d'évasion digne d'un bon film se solde par un échec. Des sous-mariniers allemands prisonniers à Bowanville (Ontario) devaient s'évader et être récupérés par le U-536 dans la Baie des Chaleurs. Piégé par la MRC, le U-boat réussit à s'échapper de justesse sans avoir accompli sa mission. De son côté, le U-537 installe au Labrador une minuscule station météo automatisée constituée d'une antenne et de batteries. Ce genre de station est semblable à celles que les Allemands ont secrètement montées au Groenland dans des petites îles de l'Atlantique Nord.

Le vent tourne

À partir de 1943, face à la puissance navale, aérienne et technologique des Alliés, les sous-marins nazis subissent de lourdes pertes. Ils affrontent aussi une marine canadienne qui s'est muée en une redoutable machine de guerre. Entrée en guerre en 1939 avec une poignée de navires et 2000 hommes, elle a vu ses effectifs multipliés par 50. Les équipages reçoivent un meilleur entraînement et les navires sont dotés de moyens de détection et d'armement plus performants. Escortant 48% des convois, les Canadiens rendent coup pour coup aux U-Boats. Le fleuve étant rouvert en avril 1944, les submersibles ennemis y recherchent des proies faciles. Si le U-1223 endommage en octobre la frégate MAGOG au large de Pointe-des-Monts (Qc) et coule un cargo près de Matane (Qc), le U-1228 torpille en novembre suivant dans le détroit de Cabot la corvette SHAWINIGAN qui sombre corps et biens. Le tout dernier acte de la bataille du Saint-Laurent se joue en mai 1945, lors de la capitulation de l'Allemagne nazie, alors que les U-889 et U-190 se rendent à la MRC, l'un à Shelburne (NÉ) et l'autre à Bay-Bulls (T-N).

Le fleuve Saint-Laurent n'a donc jamais représenté une cible prioritaire pour les Allemands. Les U-boats y ont mené des attaques sporadiques parce qu'ils savaient que les convois y étaient mal protégés. Sur les 2500 navires coulés au cours de la bataille de l'Atlantique, 23 seulement l'ont été en deux ans par une demi-douzaine de U-boats dans le Saint-Laurent. Cette bataille du Saint-Laurent s'est gagnée dans l'Atlantique, où les équipages canadiens se sont largement illustrés. La MRC a effectué près de 26 000 traversées et acheminé 165 millions de tonnes de denrées et matériel. Ses navires ont détruit à eux seuls ou avec l'aide de navires alliés une cinquantaine de sous-marins allemands et italiens. À la fin de la guerre, forte de 90 000 hommes et femmes et de plus de 400 navires, la Marine royale du Canada était la troisième puissance navale du monde.

Fabrice Mosseray

Réserve navale