Comment les Nouvelles Casernes ont failli être sauvées

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On se demande aujourd'hui encore qui daignera avancer les fonds pour la restauration des Nouvelles Casernes, le plus ancien ouvrage militaire mis en place sous le régime français en Amérique du Nord. Pourtant, les fonds nécessaires avaient été réservés... dans les années 70. Mais un autre affrontement Ottawa-Québec a sonné le glas de ce projet.


L'édifice des Nouvelles Casernes, ce bâtiment patrimonial à l'abandon depuis plus de 40 ans, a bien failli bénéficier d'une enveloppe de 24 millions $ pour sa restauration. Mais une querelle territoriale entre le fédéral et le provincial a coulé le projet. D'un côté, Jean Chrétien. De l'autre, Jean-Paul L'Allier. Depuis, les vieilles pierres s'effritent.

L'histoire remonte au milieu des années 70. À l'époque, le gouvernement fédéral de Pierre Elliott Trudeau envisage la création d'un parc national qui mettrait en valeur l'histoire militaire de Québec. Le terrain visé est situé entre les fortifications, la côte du palais et la rue McMahon et loge divers édifices historiques. On l'appellera le Parc de l'Artillerie.



Le problème, c'est qu'un des bâtiments n'appartient pas au gouvernement fédéral. Les Nouvelles Casernes, construites en 1748, sont la propriété de L'Hôtel-Dieu, et donc du gouvernement provincial, qui en a hérité quand les soeurs Augustines ont cédé l'administration de l'hôpital à des laïques, en 1966.

Le ministre des Affaires indiennes et du Développement du Nord, qui est aussi responsable des parcs, propose un marché : Ottawa s'engage à restaurer les Casernes, mais celles-ci doivent lui être vendues. Ce ministre, c'est Jean Chrétien.

Mais voilà, le gouvernement du Québec ne l'entend pas de cette oreille. Il trouve Ottawa trop gourmand sur l'achat de propriétés dans la province. À l'Assemblée nationale, c'est un certain Jean-Paul L'Allier qui occupe les fonctions de ministre des Affaires culturelles, en 1975 et 1976, au sein du gouvernement de Robert Bourassa.

«C'était à l'époque où le gouvernement fédéral était assez agressif sur l'acquisition de territoires un peu partout au Québec», raconte Jean-Paul L'Allier, en entrevue au Soleil. «Le gouvernement fédéral était prêt à considérer restaurer les casernes si on les lui cédait. C'était arrivé à plusieurs reprises dans le passé, notamment dans le Vieux--Montréal, que le gouvernement fédéral dise : «Je ne mets pas un sou à moins que vous me donniez la bâtisse».»



«On ne cède pas»

Québec a donc durci sa position pour mater l'appétit d'Ottawa, rappelle Jean-Paul L'Allier. Pour illustrer son propos il relate qu'à un certain moment, le fédéral avait des vues sur les terres qui bordaient le Saguenay.

«Le fédéral voulait faire un parc national. Il s'appropriait le Saguenay, au fond. Il devenait propriétaire du Saguenay sous prétexte de le rendre accessible aux visiteurs. Le gouvernement du Québec avait pris comme position : "On ne cède pas". On ne pouvait pas, dans le contexte politique canadien accepter que le gouvernement fédéral fasse sa part en demandant d'être propriétaire. Ce n'était pas acceptable.»

Le fédéral avait déjà réservé une enveloppe de 24 millions $ exclusivement pour la restauration des Nouvelles Casernes, selon une source fiable qui travaillait à l'époque chez Parcs Canada.

«Dans les années 70, à l'intérieur du projet global du Parc de l'Artillerie, il y avait un montant alloué pour la restauration des Nouvelles Casernes de l'ordre de 24 millions $», nous dit notre interlocuteur.

L'argent était là, prêt à être utilisé. Une entente de principe avait même été conclue en 1972 entre la Corporation de L'Hôtel-Dieu, propriétaire des Casernes, et le ministère des Affaires indiennes. Mais, devant l'échec des négociations avec Québec, «ces 24 millions $ ont été enlevés et ont été envoyés ailleurs au Canada».



Pour Jean-Paul L'Allier, le refus de céder des terres au fédéral était «une question de principe». «Il y avait une espèce d'offensive de ce côté-là. On avait bloqué [le projet]. On avait dit au gouvernement fédéral : «Mettez vos sous et on va s'entendre sur un plan de mise en valeur». Et ça avait été refusé.»

Plus tard, sous le gouvernement conservateur de Brian Mulroney, il y a bien eu une autre tentative d'injecter des sommes pour la restauration des Casernes. Avec Marcel Masse, alors ministre de la Défense nationale, Jean-Paul L'Allier, nouvellement élu maire de Québec, s'était entendu pour placer ce dossier en priorité.

«Mais encore une fois, les fonctionnaires fédéraux exigeaient l'appropriation. Je crois qu'il ne fallait pas le faire.» Le nouveau maire a plutôt obtenu que l'argent qui avait été négocié pour les Nouvelles Casernes soit plutôt orienté vers le complexe Méduse. «Les Casernes, pour une question d'entêtement de fonctionnaires à Ottawa en particulier, ça ne s'est pas fait.» Quant au palier provincial, il aurait dû intervenir depuis longtemps, estime M. L'Allier. «Le gouvernement du Québec aurait dû restaurer les casernes.»

Le bâtiment patrimonial est donc resté propriété du Centre hospitalier universitaire de Québec (CHUQ). Celui-ci n'a pas les moyens de le restaurer. Depuis des années, le CHUQ s'emploie plutôt à limiter les dégâts. Selon son porte-parole Richard Fournier, plus de 1,3 million $ ont été dépensés sur la structure depuis 1999. Une récente étude, la plus exaustive réalisée à ce jour, a estimé à près de 19 millions $ le coût pour la seule préservation de la structure qui mesure 160 mètres de long et à peine 10 mètres de large. Des travaux qui frisent l'urgence.

Un oeil au beurre noir patrimonial?

Les Nouvelles Casernes ont participé à la reconnaissance de Québec au patrimoine mondial de l'UNESCO. Leur lente dégradation peut-elle nuire au prestigieux statut?

«La présence de ces structures a également contribué à la nomination de Québec comme ville du patrimoine mondial de l'UNESCO. Il ne reste qu'à souhaiter la restauration prochaine de ce précieux lieu de la mémoire collective.» C'est en ces termes que l'historien André Charbonneau a conclu un article sur les Casernes publié dans la revue Cap-aux-Diamant... en 1999. Depuis, bien peu de choses ont été faites pour redonner au vieil édifice son lustre d'antan.

Pourtant, la convention qu'a signée Québec en 1985 lors de l'accession du Vieux-Québec au statut de bien du patrimoine mondial énonce clairement la responsabilité de l'État dans la conservation de son patrimoine. «Chacun des États parties à la présente Convention reconnaît que l'obligation d'assurer l'identification, la protection, la conservation, la mise en valeur et la transmission aux générations futures du patrimoine culturel et naturel [...] et situé sur son territoire, lui incombe en premier chef.»



Dans le cas du Vieux-Québec, le gestionnaire du site est la Ville de Québec, mais l'État canadien et québécois ont aussi leur rôle à jouer dans sa protection, explique la responsable pour l'Europe de l'Ouest et pour l'Amérique du Nord du Centre du patrimoine mondial de l'UNESCO, Patricia Alberth, jointe à Paris.

Ruines «protégées»

«En signant la convention du patrimoine mondial, vous êtes obligé de prendre soin des sites sur votre territoire. Cela peut être en octroyant des fonds ou en affectant du personnel expert», dit-elle.

Mme Alberth ajoute que s'il y a un développement majeur qui vient porter ombrage au caractère exceptionnel du site, le pays concerné doit consulter le Centre du patrimoine mondial.

Pour l'ancien maire de Québec, Jean-Paul L'Allier, le mauvais état des casernes n'est pas suffisant pour alerter le comité international, même si celles-ci constituent un des plus anciens témoins de la présence française en Amérique du Nord. «On ne les a pas démolies. Même si elles sont en ruines, elles ont été protégées d'une certaine façon. Parce qu'il y a toujours des gens qui veulent tout jeter ça à terre quand c'est vieux», a-t-il commenté, en entrevue téléphonique.

En fait, pour que l'UNESCO décide d'intervenir, il faut que le problème lui soit signalé, précise Patricia Alberth, soit par le pays lui-même, soit par des organismes non gouvernementaux.

«Si nous apprenons qu'un site est mal entretenu et que sa valeur universelle puisse en souffrir ou disparaître, ce qui arrive est que le problème est porté à l'attention du comité du patrimoine mondial à son assemblée annuelle. Celui-ci examinera l'état de conservation.»

Si le comité conclut que le site est en trop mauvais état, il peut décider de le placer sur la liste du patrimoine en péril. Dans de très rares cas, le site peut se voir retirer son statut.

En ce moment, aucun signalement n'a été fait à l'UNESCO au sujet des Nouvelles Casernes, signale Mme Alberth, mais l'organisation garde l'oeil ouvert pour un projet qui se déroule tout près : celui de l'agrandissement de l'Hôtel-Dieu, tel que le rapportait Le Soleil lundi.



Pas un sou de la Ville

Il ne faut pas compter sur la Ville de Québec pour mettre un sou dans la restauration des Nouvelles Casernes.

La conseillère municipale responsable de la Culture, Julie Lemieux,  est consciente de l'urgence de dénicher des fonds pour restaurer les Nouvelles Casernes, un édifice à haute valeur historique et patrimoniale. Mais l'aide que la Ville offrira se limitera à un appui dans les démarches auprès des bailleurs de fonds. «L'Hôtel-Dieu a demandé au gouvernement de financer les travaux de restauration alors nous [la Ville] on va les appuyer dans cette demande-là», a souligné Mme Lemieux.

Mais pour elle, il n'est pas question que la Ville investisse elle-même dans l'aventure. «Il n'y a rien de prévu en termes de financement», a-t-elle fait savoir.

Il ne faut pas chercher davantage du côté de Parcs Canada, qui possède pourtant les édifices du Parc de l'Artillerie, situé tout juste à côté. Ceux-ci ont été restaurés et entretenus au fil des années et les Nouvelles Casernes font piètre figure à côté.

Et Parcs Canada?

«Bien que Parcs Canada ait assisté en mars dernier à une rencontre lors de laquelle l'Hôtel-Dieu de Québec a présenté l'état physique des Nouvelles Casernes, aucune discussion formelle ou informelle n'a eu lieu en ce qui a trait à l'avenir du lieu. Par ailleurs, sachez qu'il n'est pas dans les plans de Parcs Canada de se porter acquéreur des Nouvelles Casernes», a affirmé par courriel la porte-parole de Parcs Canada pour les régions de Québec et de Chaudière-Appalaches, Julie Royer.

Au ministère de la Culture, on n'a pas pour l'instant de stratégie précise, mais une ouverture se présente. «À l'heure actuelle, comme il n'y a pas de projet prévu à court terme en ces lieux, il est difficile de déterminer notre implication exacte. Toutefois, le bâtiment étant situé à l'intérieur des limites de l'arrondissement historique, il pourrait être admissible à l'obtention d'une aide financière à la restauration de la part du Ministère», a précisé Annie LeGruiec, responsable des relations avec les médias.

Plutôt vieilles... pour des Nouvelles Casernes



Les Nouvelles Casernes, malgré leur nom, n'ont rien de nouveau. Construites autour de 1750, elles sont en fait le plus long et le plus ancien ouvrage militaire en Amérique du Nord mis en place sous le régime français.

Partie intégrante des fortifications de Québec, les Casernes ont été bâties sous les ordres de l'ingénieur Chaussegros de Léry, qui venait tout juste de terminer l'érection de la redoute Dauphine, qu'on avait aménagée en caserne. Ce qui explique l'appellation «nouvelles» pour les casernes qui ont été bâties un peu plus bas. Le terme peut aussi référer au caractère neuf de l'édifice, à l'époque. Avant sa construction, les soldats étaient en effet hébergés chez l'habitant, rappelle l'historien Jean-Marie Lebel.

Les Casernes ont servi de rempart contre l'invasion américaine : les soldats britanniques ont tiré des boulets de canon sur les hommes de Benedict Arnold, qui avaient trouvé refuge en contrebas, dans le palais de l'Intendant. Abandonnées après le départ de la garnison britannique, elles ont plus tard été reconverties en fabrique de cartouches.

Elles sont passées aux mains des Augustines de Québec, en 1966. Celles-ci prévoyaient y installer une école et des résidences d'infirmières ainsi qu'un stationnement. Des projets restés sans suite.