«Pour un commerçant, le moment de vérité débute dès l'instant où le consommateur met les pieds dans son établissement et se poursuit jusqu'à ce qu'il en sorte. C'est au terme de chacune de ses visites que le client décidera s'il reviendra ou s'il ira dépenser son argent ailleurs», affirme Andrée-Anne Chailler, directrice du développement des affaires chez Statopex, une firme de marketing terrain de Laval présente partout au Canada.
Pour savoir ce que pense le consommateur du service à la clientèle, pour vérifier si les normes corporatives de qualité de l'accueil et de courtoisie sont appliquées et si les employés connaissent bien la marchandise et pour s'assurer que la promesse publicitaire est bien livrée, les entreprises commerciales ont recours au client-mystère.
En deux mots, un client-mystère est une personne responsable d'évaluer un service offert par un commerçant - à partir de divers critères de performance - en effectuant une visite anonyme dans un point de vente.
«L'idée n'est pas de tendre un piège au personnel, mais de se mettre dans la peau d'un client qui s'attend à être bien servi», explique Mme Chailler.
Sur son site Internet, Statopex fait écho à un ouvrage publié en 2009 par Veronica Boxberg Karlsson, The Book about Mystery Shopping, qui rapporte que seulement 4% des clients exprimeront directement leur insatisfaction à un commerçant s'ils sont mécontents d'un service reçu. Les autres «se fermeront la trappe», mais ils ne mettront plus les pieds dans le magasin.
«Pas moins de 68% des clients qui ne sont pas retournés acheter dans un établissement disent que c'est en raison de l'indifférence des employés rencontrés», expose l'auteure. Elle ajoute «qu'un client insatisfait informera un minimum de 10 personnes de sa mauvaise expérience». Il est facile d'imaginer les dommages qui pourraient être causés à un commerçant par un client mécontent à l'esprit vengeur qui déciderait d'utiliser les médias sociaux pour régler ses comptes.
Ultramar et SAQ
Deux des plus importantes sociétés commerciales québécoises, Ultramar et la SAQ, font appel à des clients-mystères depuis plusieurs années pour mesurer la satisfaction de la clientèle. Elles y ont recours également pour vérifier le taux de conformité des employés aux lois et règlements interdisant la vente de certains produits (tabac, alcool et loterie) aux mineurs.
Il y a quelques années, des médias avaient prouvé qu'il était facile pour un mineur de se procurer de l'alcool dans une succursale de la SAQ. Il avait été démontré que 4 fois sur 10 un jeune de moins de 18 ans réussissait à acheter une bouteille d'alcool.
Alertée, la SAQ avait alors décidé d'intensifier ses efforts de sensibilisation auprès de ses employés. «"Si, d'après vous, le client n'a pas l'air d'avoir 25 ans, demandez-lui ses cartes." C'est le mot d'ordre qui avait été lancé au personnel», explique Isabelle Merizzi, la directrice des affaires publiques de la SAQ.
Pour s'assurer que la directive est appliquée à la lettre, chacune des 400 succursales de la SAQ est visitée deux fois par année par un jeune client-mystère âgé de 14 à 17 ans - accompagné discrètement par un adulte - désireux de s'acheter une bouteille d'alcool. Selon les dernières statistiques, à peine 5 % des jeunes réussissent à déjouer les employés. «Nous sommes passés d'une situation problématique à une situation d'excellence», résume Mme Merizzi.
Il y a quelques années, Ultramar se limitait à mesurer l'interaction entre le client et le personnel.
Aujourd'hui, indique le directeur principal des affaires publiques et gouvernementales, Michel Martin, c'est «l'expérience globale du consommateur dans nos 250 magasins corporatifs qui est prise en compte. Tout est évalué par le client-mystère. De la disposition des produits à la fraîcheur de la nourriture, en passant par la sécurité des lieux et par la propreté des toilettes!»
«Nous cherchons constamment à améliorer notre offre pour satisfaire le client et lui donner le goût de revenir», affirme M. Martin, en ajoutant que les constats faits par les clients-mystères permettaient à l'entreprise de peaufiner son programme de formation destiné aux 3000 employés de ses magasins.
De son côte, la SAQ - qui a dépensé 6,7 millions $ en publicité l'an dernier pour attirer les consommateurs - fait appel à des clients-mystères qui vont vérifier si ses employés prennent le temps de dire bonjour et au revoir aux clients et s'ils les accompagnent adéquatement dans l'achat d'un produit. Souvent, les agents sont envoyés en mission secrète aux heures d'affluence pour s'assurer que le service à la clientèle est le même le samedi après-midi que le mercredi matin.
Ces visites se font systématiquement deux fois par année dans chacune des succursales.