Nicolae Tincao, le «Monsieur Lazhar» de Beauport

À l'instar de Bachir Lazhar, du film de Philippe Falardeau, Nicolae Tincao a appris à la dure les codes relationnels du système d'éducation québécois.

L'histoire de Monsieur Lazhar, du cinéaste Philippe Falardeau, a séduit le public et bon nombre de festivals internationaux, passant tout près de décrocher l'Oscar du meilleur film étranger, hier soir. L'histoire touchante d'un homme qui fuit son pays, tente de reconstruire sa vie en devenant professeur au Québec et en encadrant une jeune classe au bagage culturel bien différent. Cette histoire, c'est aussi celle de Nicolae Tincau, un Roumain musicien dans l'âme, arrivé au Québec en 1982, toujours enseignant à 71 ans. L'histoire de Monsieur Tincau.


Nicolae Tincau n'est donc pas Algérien comme le personnage de Bachir Lazhar, incarné par Fellag dans l'adaptation de Philippe Falardeau. Il n'a jamais menti à un directeur d'école sur sa citoyenneté, puisqu'il est devenu résident permanent en 1985. Et ne s'est pas plus improvisé enseignant, l'ayant été avant même de débarquer au Québec.

Malgré ces différences avec la fiction, il est difficile de ne pas voir en Nicolae Tincau un Monsieur Lazhar de Beauport. Ayant vécu un choc linguistique à son arrivée à Montréal, jamais M. Tincau n'avait pensé enseigner dans les écoles québécoises quelques années plus tard.



«Quand je suis arrivé, le ciel a tombé sur moi», se rappelle-t-il, expliquant qu'il avait choisi le Québec pour ses «affinités culturelles». Et parce qu'il croyait que l'apprentissage du français se ferait aisément; après tout, il s'agissait d'une langue latine comme le roumain et l'italien. Après la «grande force» apportée par les cours de francisation, il a rejoint, en bon corniste, la troupe musicale des Forces armées canadiennes.

C'est lors d'une prestation à la Citadelle qu'il a rencontré une Québécoise qui deviendra rapidement sa femme et sa conseillère. Les projets ont déboulé. Dans la quarantaine avancée, il s'est inscrit en musique à l'Université Laval, a complété des études en enseignement primaire et secondaire. Sont arrivées les premières demandes de suppléance, aux quatre coins du Québec. De Napierville à Saint-Nicolas, en passant par Baie-Saint-Paul et le village huron de Wendake.

«Ici, je ne me suis pas trompé», glisse l'ancien musicien d'un orchestre symphonique roumain. C'est à la fin d'un contrat avec cet orchestre qu'il en a eu assez de sa Roumanie natale et qu'il s'est réfugié en Italie. Il craignait de connaître le même sort que son père musicien, arrêté pendant cinq ans «parce qu'il n'aimait pas le communisme». «J'étais tellement écoeuré du système politique de mon pays!» lance-t-il avec un accent québécois à couper au couteau. Mais le passé, il préfère ne pas trop s'y attarder.

Il revient à sa passion, la musique. À ses débuts comme enseignant, on lui avait conseillé d'être «bête» avec les élèves, question de se faire respecter. Ses collègues oubliaient qu'il avait étudié dans un milieu très strict toute sa jeunesse... «Pour moi, c'est très difficile de faire des compromis en musique. Tout le monde dit que j'ai l'air sévère», reconnaît-il. Une directrice lui a même déjà dit : «Je sais pas pourquoi, vous êtes sévère, mais les jeunes vous aiment au boutte!»



Comme M. Lazhar, Nicolae Tincau a appris à la dure les codes relationnels du système d'éducation québécois. Qu'un simple geste, un pincement de joue ou une main déposée sur la tête par exemple, pouvait entraîner des appels de parents inquiets chez le directeur. M. Tincau en sait quelque chose. Il ressort également la fois où il a lancé le surnom de «Schtroumpf à lunettes» à l'un de ses élèves. La mère du petit l'avait trouvé moins drôle. «Je ne l'ai pas dit comme une insulte», se défend-il encore.

Au-delà de l'adaptation à la réalité québécoise, M. Tincau se plaît à raconter ses multiples expériences d'enseignement à travers le Québec, et ces spectacles de fin d'année qu'il tient à organiser dans les églises du coin. Il se rappelle celui, en 2010, dans l'église «pleine à craquer» de Saint-Rédempteur. Des familles avaient dû rebrousser chemin, et plusieurs citoyens se demandaient ce qui avait créé autant de circulation dans le village.

«Chaque année, je me dis que si la santé est là, je vais continuer. J'étais gêné un temps [de continuer], mais ils ont besoin...», exprime-t-il. M. Tincau ne termine pas sa phrase, trop modeste. Mais nul doute, les jeunes ont besoin de lui.