Suicide de Marjorie Raymond: Jade au coeur de la haine

Depuis une semaine, Jade ne va plus à l'école et n'ose pas sortir trop loin de la maison. Après la mort de Marjorie Raymond, c'est elle qui a été montrée du doigt pour le suicide de son ancienne amie.


Les yeux rougis par les larmes, l'adolescente de 15 ans est assise sur le perron à côté de son amie Carolanne, venue essayer de la consoler. Jade est vêtue d'un mince chandail à capuchon et d'un pantalon de jogging gris et aurait très envie de fumer une cigarette.

«Je le sais pas comment me sentir, je le sais pas pantoute, dit-elle. Je suis vraiment confuse, j'angoisse, j'ai peur. Je ne sais plus quoi faire.»



Mercredi, la dernière fois qu'elle a eu le courage de vérifier sa page Facebook, elle avait reçu plus de 500 messages de haine.

Au début de la semaine, les insultes, les accusations et les menaces venaient d'ici, à Sainte-Anne-des-Monts, mais bien vite elles arrivaient d'aussi loin que Calgary.

«Ça disait que j'étais une vache, une truie, une salope et que je devrais mourir moi aussi. Que je ne méritais pas de vivre et que c'était de ma faute si elle était morte et que la province au complet était revirée contre moi», résume Jade, en retenant un sanglot.

Sur Facebook, sa soeur, ses parents et ses amis ont aussi été la cible d'un déluge de fiel. «Je comprends pas», dit Guy Gagnon, le beau-père de Jade. «Tout le monde dénonce l'intimidation, et là, c'est exactement ça qu'ils sont en train de faire.»



Dans les entrevues qu'elle a données au Soleil et aux autres médias, la mère de Marjorie, Chantal Larose, a expliqué que sa fille traversait une période très sombre depuis qu'une camarade de classe lui avait enfoncé la tête dans un casier il y a un mois.

Cette camarade de classe, c'était Jade. Sur les réseaux sociaux, son nom n'a pas pris de temps à circuler. Le message que l'adolescente a laissé sur sa page Facebook après sa suspension - «Suspendue 5 jours. Ah! Ah! Ah! C'est pas pire!» - a été interprété comme une preuve qu'elle était satisfaite de son geste.

Une histoire de garçon

Jade avoue avoir cogné la tête de Marjorie contre un casier à cause d'une histoire de garçon. Mais elle assure que le message Facebook en question ne portait que sur sa suspension et qu'elle n'a pas tenté d'intimider Marjorie après l'épisode de la case, ni sur le Web ni à l'école.

«Oui, peut-être que ce n'était plus mon amie, dit Jade. Mais ça me fait de quoi pareil qu'elle ne soit plus là. On ne se parlait plus. Mais je ne lui souhaitais pas de mourir pour autant.»

Sur le perron, il commence à faire froid, et Jade, Carolanne et Guy rentrent à l'intérieur de la maison, où la mère de Jade, Sandra Isabel, essaie d'abattre un peu de travail malgré la commotion provoquée par le suicide de Marjorie.



«C'est l'enfer», dit-elle, avant de s'excuser de ne pas avoir eu le temps de faire le ménage.

Depuis le suicide de Marjorie, Mme Isabel va à l'épicerie à contrecoeur. «Je ne sais pas quoi faire quand je rencontre une personne. Si je souris, est-ce qu'ils vont dire : "Eille, elle prend ça à la légère, elle; elle rit!" Ou est-ce que je dois faire la piteuse et brailler? J'essaie d'être neutre autant que possible.»

«La fosse aux lions»

Le soir même après la mort de Marjorie, Mme Isabel a reçu un appel de l'école secondaire Gabriel-Le Courtois, que Marjorie et Jade fréquentaient. Craignant pour la sécurité de Jade, la direction a demandé que cette dernière ne se présente pas à ses cours, indique Mme Isabel.

De toute façon, la mère de Jade aurait découragé sa fille d'y aller. «Je ne l'aurais pas envoyée dans la fosse aux lions», dit-elle.

Mme Isabel tient d'ailleurs à souligner que l'école Gabriel-Le Courtois a proposé les services d'un psychologue à sa fille, comme elle l'avait déjà fait lors d'une chicane précédente entre Marjorie et Jade (redevenues amies par la suite). L'école travaille maintenant sur un plan pour réintégrer Jade à l'école, précise sa mère. Celle-ci pense d'ailleurs que les élèves de Gabriel-Le Courtois et les gens de Sainte-Anne-des-Monts sauront faire la part des choses.

Elle s'inquiète davantage des gens qui n'y ont jamais mis les pieds et qui continuent d'écrire sur Facebook des «messages comme quoi Jade, c'est la meurtrière et nous, on est la famille de la meurtrière».

Chantal Larose, la mère de Marjorie, croit aussi que ceux qui ont assailli Jade de messages haineux sur les réseaux sociaux sont allés trop loin.



«Elle n'a pas besoin d'être plus démolie, dit Mme Larose. Il faut qu'elle assume les gestes qu'elle a faits. Mais elle aussi, ça va être une victime dans tout ça.»

Guy Gagnon espère que les centaines d'internautes qui s'en prennent à sa famille vont mettre fin à ce cercle vicieux d'intimidation. «À un moment donné, il faut que ça arrête.»