Les «indignés» de Québec jouent le jeu de la sécurité

Alors que les indignés de Québec attendaient de pied ferme leur expulsion hier soir, ils n'ont eu droit qu'à la visite des inspecteurs du service des incendies et de quelques employés de la Ville qui ont sécurisé les lieux, leur permettant ainsi d'entamer une nouvelle nuit d'occupation à la place de l'Université-du-Québec.


Néanmoins, la Ville persiste et signe : elle souhaite que les manifestants démantèlent leurs installations de leur propre chef. Mais son porte-parole, Jacques Perron, est demeuré flou en fin de soirée quant au délai accordé aux indignés, se contentant de répéter que la première partie de l'intervention était complétée.

«L'objectif qui était de sécuriser les lieux et d'enlever tout ce qui pouvait constituer une source d'incendie a été atteint, a affirmé M. Perron. Nous verrons au cours des prochaines heures et des prochains jours.»

Jacques Perron n'a pas voulu préciser quel type d'intervention était envisagé si les manifestants n'obtempéraient pas aux demandes de la Ville. Le porte-parole est également resté muet quant aux raisons qui ont poussé l'administration Labeaume à vouloir se débarrasser du campement après l'avoir toléré pendant deux semaines. «On demande le respect des règlements municipaux. On a fait preuve de tolérance», s'est-il buté à répéter.

Après un début de soirée fébrile où les rumeurs d'expulsion étaient au coeur des discussions de la centaine de manifestants sur place, trois responsables du service des incendies accompagnés d'employés municipaux chargés de débarrasser le lieu du matériel potentiellement inflammable et quelques policiers sont arrivés sur les lieux vers 20h15.

Le petit groupe a procédé à une inspection minutieuse des installations, saisissant ici et là quelques chandelles, rallonges électriques et foyers portatifs. C'est lorsque les employés de la Ville ont voulu s'attaquer au bois de chauffage empilé à l'extrémité du camp que les indignés ont alors fait entendre leur revendication. Deux d'entre eux se sont physiquement opposés à la saisie des bûches en prenant place sur le dessus de la pile.

Après quelques minutes de discussion, les pompiers et les manifestants ont finalement conclu une entente pour que le bois disparaisse de l'endroit d'ici le lendemain. Un autre accord a été conclu au sujet d'une tente construite avec l'aide d'une toile en nylon, un matériau qui peut prendre facilement en feu.

Peuple uni

«On est heureux, c'est une première victoire. On a montré ce que le peuple uni était capable de faire», a affirmé Pascale Marie Milan, qui fumait tranquillement une cigarette après le branle-bas de combat de la soirée. «On va rester vigilants», a-t-elle néanmoins averti, promettant aussi de faire la vigie tout au long de la nuit.

«Je suis très satisfait», a quant à lui affirmé Julien Lapierre, au sujet du déroulement de la soirée. «On est prêts à faire les ajustements qu'ils demandent, mais on veut avoir les papiers légaux», a-t-il soutenu, affirmant que les avis distribués dans la journée n'étaient pas valides.

Labeaume s'en mêle

Le maire Régis Labeaume, qui a admis quelques jours plus tôt être sensible aux revendications des indignés, leur a demandé en point de presse hier matin de quitter les lieux «dans les prochaines heures», pour des questions de sécurité. Il a également rappelé que la Ville, étant propriétaire des lieux, s'expose à des poursuites en cas de problèmes.

Et si les indignés refusent de démanteler leurs installations et la quarantaine de tentes qu'ils ont piquées sur le terrain municipal, «le service de police et le service des incendies interviendront», a-t-il menacé.

Puis, vers 14h45, trois représentants du service des incendies ont distribué des avis à la cinquantaine de manifestants sur place, exigeant directement et officiellement le «démantèlement des installations dangereuses» à défaut de quoi la Ville s'en chargera elle-même.

Dans les minutes qui ont suivi, ils ont entrepris un vaste réaménagement de la place. Ils ont notamment espacé les tentes, déménagé les poêles au gaz et érigé une tente d'armée, plus solide et plus résistante au feu. C'est d'ailleurs ce nouvel aménagement que les pompiers ont jugé conforme en fin de soirée après leur visite.

À Montréal, le maire, Gérald Tremblay, a déclaré à RDI qu'il entendait adopter une attitude de tolérance à l'égard des «indignés» qui occupent le Square Victoria, pour autant que ces derniers respectent la paix publique et certaines règles de sécurité.

Un prétexte pour agir

L'avocat Denis Poitras croit que la Ville de Québec cherche tout simplement un prétexte pour expulser les manifestants.

«C'est plus un débat politique que juridique, cette affaire-là. Les gens sont là, ils ont des revendications, la Ville les tolère puis tout d'un coup, ils ne veulent plus jouer. Qu'ils le disent carrément s'ils n'en veulent pas, qu'ils ne cherchent pas de prétexte», a soutenu celui qui a notamment représenté quelques manifestants québécois arrêtés au G20 à l'été 2010.

L'argument de la sécurité incendie ne tient pas la route, croit-il, puisqu'une fois que les campeurs se plient aux exigences des autorités, celles-ci n'ont plus d'excuse.

Me Poitras a été contacté par les indignés de Québec hier et il se disait prêt à intervenir en cas d'arrestations. Pourrait-il contester l'expulsion des campeurs si la Ville l'ordonnait? «Il faudrait voir les motifs», a conclu l'avocat.

Avec Pierre-Olivier Fortin