Renaissance de Fermont: la double vie des travailleurs «importés»

Le «fly-in/fly-out», «c'est une bonne affaire... pour la compagnie», estime Denis Émond, qui habite le «mur» et aura passé presque toute sa vie de travailleur à Fermont. «Localement, il n'y a pas de retombées. Ils se mêlent pas [à la population]. Et au bureau de poste, c'est nous, les inconnus. C'est pas normal.»

Chaque mardi, à Wabush, au Labrador, l'avion de l'Est croise l'avion de l'Ouest. Le premier amène à Fermont des travailleurs embarqués à Québec, à Bagotville et à Mont-Joli. Le second, à Montréal, à Val-d'Or et à Chibougamau.


C'est le fly-in/fly-out, instauré par Cliffs Natural Resources. C'est jour de changement d'équi­pes à la mine de fer du lac Bloom ou au concentrateur de minerai. Et ça fait jaser bien des Fermontois.

Le principe d'importer par avion du personnel n'est pas inédit. La Baie James s'est bâtie à coups de contingents de travailleurs pour qui plusieurs jours de boulot en continu alternaient avec les congés «en bas», à Montréal, à Québec, à Gaspé ou autres Matane. Au Nunavik, sur la pointe septentrionale du Québec, à 1800 kilomètres de Montréal, la compagnie Raglan exploite ainsi une mine de nickel.

Mais à Fermont, les ouvriers débarquent pour 14 jours dans une ville dont ils ne côtoieront jamais les habitants. Curieux spectacle à l'entrée de la coopérative alimentaire, où des groupes d'employés attendent à toute heure du jour l'autobus pour aller à la mine, par petits groupes silencieux.

Leur contact avec Fermont tient essentiellement au repas pris à la cafétéria de la compagnie avant de partir pour un quart de travail de 12 heures.

Avantages...

Le responsable de l'usine de la firme Cliffs, Louis Gendreau, dit que le système offre de grands avantages. Lorsque le mineur part pour ses 14 jours de congé, il est assuré qu'il ne sera joint par aucune urgence. Aux ressources humaines, Claude Tremblay attribue à la formule les 8000 à 9000 demandes d'emploi que Cliffs a reçues sans avoir publié d'annonce.

Technicien minier demeurant à Québec, François Lavertu se réjouit de sa «double vie [...] logé, nourri, déplacé». Son collègue de Dolbeau, Claude Veilleux, plaide que «tu peux rester n'importe où, y compris dans ton petit patelin». Il faut «que ta conjointe soit à l'aise», reconnaît-il. Personnellement, il souligne que pendant ses 14 jours de congé, il est «constamment avec» son fils de quatre ans.

... et inconvénients

Le syndicat des Métallos, qui représente les travailleurs de l'autre mine, celle d'ArcelorMittal, a fait une ouverture dans le contrat de travail pour un horaire «12 jours-12 jours», mais à contrecoeur.

«C'est un plaster, une mesure temporaire pour nous autres», avance le président de la section 5778 des Métallos, Pierre Thibodeau. Il admet que c'est l'avenir pour l'exploitation des gisements, plus au nord, que Fermont représente sûrement la dernière ville qu'une minière a bâtie.

Pierre Thibodeau ne nie pas que certains travailleurs ont réclamé la formule. «Tout nouveau, tout neuf», le concept peut être séduisant, convient-il. «Quand je suis arrivé en 1988, il pleuvait, les maisons n'étaient pas peinturées, si on m'avait offert ça, je l'aurais pris.

«Mais, nuance-t-il, au bout de trois ou quatre ans», quand tu repars vers le nord et que le petit dernier «te tient la jambe...»

Le principal reproche des Fermontois, c'est que le fly-in/fly-out appauvrit la communauté. L'effet sur l'économie locale est limité. Douze heures de travail par jour ne laisse pas grand temps libre pour dépenser sa paye, dit-on.

L'implication communautaire - dans les clubs sportifs, par exemple - est plus malaisée encore. «Ça détruit le sentiment d'appartenance», se désole Isabelle Tremblay, directrice du Centre local de développement de la Caniapiscau.

Et dans une petite ville où il y a beaucoup d'enfants - 57 naissances, l'an passé, 205 élèves au primaire et 181 au secondaire -, tout ce trafic de sous-traitants avec leurs camions et d'autobus pour Cliffs inquiète des parents.

Le fly-in/fly-out, «c'est une bonne affaire... pour la compagnie», estime Denis Émond, qui habite dans le «mur» et aura passé presque toute sa vie de travailleur à Fermont. «Localement, il n'y a pas de retombées. Ils se mêlent pas [à la population]. Et au bureau de poste, c'est nous, les inconnus. C'est pas normal.»