Strait Air offre des vols nolisés au Québec depuis l'automne en utilisant la même adresse, le même numéro de téléphone ainsi que des employés et des appareils d'Aéropro, propriété d'Aurèle Labbé, blâmé sévèrement par Transports Canada pour des manquements répétitifs à la sécurité aérienne.
L'organisme gouvernemental fédéral a confirmé au Soleil que Strait Air «a récemment été acquise par une compagnie à numéro» sans toutefois révéler les noms des nouveaux propriétaires.
La consultation du registre des entreprises de Terre-Neuve-et-Labrador indique cependant la piste à suivre. Yves Labbé, fils d'Aurèle et propriétaire du Centre de formation aéronautique de Québec, et Richard Légaré, directeur général de l'aéroport de Trois-Rivières et employé d'Aéropro, y sont nommés comme directeurs au même titre que Ronald Letto, propriétaire de Strait Air depuis sa fondation en 1991. Les modifications datent du 17 mars.
Joint au téléphone, Aurèle Labbé a confirmé que son fils et son employé étaient derrière la société à numéro qui a mis la main sur l'entreprise du Labrador. Pourquoi? «Faire de l'argent, comme tout le monde», a répondu l'homme d'affaires. Lui-même se dit trop vieux pour une telle aventure et se contente de louer des avions et des locaux à Strait Air, en plus d'entretenir une partie de ses appareils.
Après l'écrasement d'un des avions d'Aéropro et la mort de sept occupants près de l'aéroport de Québec, le 23 juin 2010, Transports Canada a annulé le certificat d'exploitation de la compagnie en faisant état d'une longue série de manquements à la sécurité aérienne. L'entreprise ne peut donc plus transporter de passagers et se concentre désormais sur la maintenance d'appareils, la cueillette de données météorologiques et la gestion des aéroports de Trois-Rivières, de Sherbrooke, de Rivière-du-Loup, de Gaspé, de Bonaventure et des Îles-de-la-Madeleine.
Si Transports Canada ne permet pas à M. Labbé, le père, de reprendre ses activités de transport de passagers sous le même nom et avec la même structure administrative, il est toutefois libre de disposer de ses appareils et d'offrir ses services à quiconque.
Transfert d'appareils
Parmi la douzaine d'avions qui lui appartenaient en propre au moment de l'annulation de sa certification d'exploitation, M. Labbé en a d'ailleurs transféré sept à Strait Air, qui en opère 11 au total. Les derniers changements d'immatriculation ont été officialisés par Transports Canada le 27 juin. Il s'agit de trois Beechcraft King Air 100, le même type d'avion que celui tombé l'an dernier. L'un d'entre eux a déjà commencé à voler sur la Côte-Nord et à Québec. L'automne dernier, Strait Air avait aussi pris sous son aile quatre Piper Navajo identifiés aux couleurs d'Aéropro.
Ces appareils «n'étaient pas dans Aéropro, ils ne sont pas dans Strait Air, ils sont dans une compagnie à part, et je leur loue des avions. [...] Ils louent selon leurs besoins et ils louent à d'autres aussi, toujours aux meilleures conditions possibles», précise M. Labbé.
Dans un reportage publicitaire paru dans le journal Chefs d'entreprises du mois de juin, Strait Air faisait la promotion de sa nouvelle flotte, disant compter sur quatre appareils à Québec, prêts à voler tous les jours. Un bulletin de l'Office des transports du Canada nous apprend également que le transporteur a obtenu la licence nécessaire pour effectuer des vols internationaux avec des «petits appareils».
Il a été impossible de parler aux nouveaux propriétaires de Strait Air, qui n'ont pas donné suite à nos appels. Le fondateur Ronald Letto, joint à l'Anse-au-Clair, au Labrador, où est situé le siège social de la compagnie, n'a pas voulu répondre à nos questions, nous renvoyant systématiquement au registre des entreprises. Si les dirigeants y sont dûment identifiés, la formule de propriété n'est toutefois pas précisée.
Le rapport du Bureau de la sécurité des transports du Canada sur l'accident du 23 juin n'a toujours pas été rendu public. L'enquêteur responsable du dossier a toutefois indiqué au Soleil qu'il sera impossible d'établir avec exactitude ce qui a provoqué l'écrasement en raison de l'incendie qui a ravagé l'épave.