Avec son équipe, cette professeure de l'Université Laval a voulu comprendre dans quel contexte évoluent les enseignants et les autres employés en milieu scolaire afin d'expliquer ce qui crée la détresse dans leur travail quotidien. Car la souffrance existe bel et bien, affirme-t-elle.
«Ils vivent des situations que la majorité des citoyens ne seraient pas capables d'endurer. On a voulu comprendre comment on en arrive là», indique-t-elle en entrevue au Soleil.
Mme Maranda n'a pas cherché à quantifier cette détresse. Récemment, une étude de l'Université de Montréal a conclu que 94 % des enseignants interrogés sont en bonne santé psychologique.
«Parce que ce sont des statistiques, ça laisse entendre que c'est la vérité et que le reste n'est que de l'anecdote. Mais la réalité du monde scolaire est complexe» et peut difficilement être résumée à quelques variables dans un questionnaire, affirme la sociologue.
L'immersion
Son équipe a plutôt choisi une autre approche : passer un an dans une école secondaire pour ensuite proposer des pistes de solution. À ceux qui y verront un portrait noirci parce qu'il vient d'une école située en milieu défavorisé, Mme Maranda rétorque que la deuxième partie de la recherche, présentement en cours, cherchera justement à démontrer que l'expérience de cette école est transférable d'un établissement à l'autre, peu importe le milieu.
Les conclusions de cette étude et plusieurs témoignages sont résumés dans l'ouvrage L'école en souffrance : psychodynamique du travail en milieu scolaire, qui vient d'être publié aux Presses de l'Université Laval.
Cette enquête, financée par l'Institut de recherche Robert-Sauvé en santé et en sécurité du travail, a permis d'identifier six «situations difficiles» qui contribuent à assombrir le quotidien de ceux qui travaillent en milieu scolaire. À commencer par l'intégration d'un trop grand nombre d'élèves en difficulté, un dossier qui a fait couler beaucoup d'encre au cours des dernières années et qui n'est toujours pas réglé.
Le manque de temps et les situations d'urgence de même que la complexité des tâches et la confusion des rôles contribuent aussi à accentuer la pression chez les enseignants, qui doivent en plus jongler avec la bureaucratie d'un côté et la désorganisation de l'autre. Le non-respect, la violence et la précarité d'emploi contribuent aussi à expliquer ce sombre portrait. Dans les commissions scolaires, près de la moitié du personnel n'a pas d'emploi permanent.
Situation aggravante
Marie-France Maranda affirme par ailleurs que les récentes conventions de partenariat, signées entre les commissions scolaires et le ministère de l'Éducation, ne feront qu'aggraver la situation. Par ce mécanisme de reddition de compte, on veut rendre les enseignants responsables de la réussite de leurs élèves, explique-t-elle.
«C'est un scandale que ce les individus qui sont tenus responsables d'un système lacunaire. On a perdu la mesure de ce qui se passe dans les écoles, il faut dénoncer cette pression. Ça va accentuer les problèmes et les souffrances du personnel scolaire. Imaginez ce que ça va avoir comme effet de démotivation et les dérives que ça peut entraîner», lance-t-elle, rappelant qu'environ 20 % des nouveaux enseignants abandonnent la profession au cours des cinq premières années.
Témoignages de profs
«J'ai eu des élèves qui ont déjà été violents dans ma classe. Ils ont pété des cadrages de porte. J'étais toute seule pour gérer ça. Je vais toujours m'en souvenir. J'étais traumatisée. Je trouve qu'on garde ça très caché, très secret, les élèves qui ont des suivis avec des intervenants, soit des psychologues, soit des travailleuses sociales. On ne veut pas nous dire ce qui se passe dans leur bureau : "C'est personnel..."»
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«Je dois enseigner cinq années de scolarité différentes pour le même groupe, toutes en même temps. Ce sont les élèves qui sont perdants, car c'est leur faire croire qu'ils sont à leur place.»
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«Je trouve que pour être enseignant, c'est vraiment une vocation, il faut être très en forme. Il faut avoir une vie très, très rangée pour être capable d'être disponible pour les jeunes qui sont beaucoup en détresse eux-mêmes.»
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«C'est vraiment un choc au début de l'année, c'est un choc de rencontrer nos groupes. C'est ça, le stress auquel je vais avoir à faire face jusqu'au mois de juin? Je suis "poigné" ici, je suis "poigné" avec ces groupes-là. C'est moi qui pars ou c'est eux?»