Q Comme avez-vous réagi à la mort de Michel Chartrand?
R Moi, ça fait deux... J'ai aussi perdu Pierre Falardeau (en septembre). C'est pas pareil, parce que je savais que Pierre était malade, qu'il avait le cancer, qu'il était condamné, tout ça. Je savais que c'était une question de temps. Mais Pierre était jeune. Dans le cas de Michel, ça m'attriste pour sa famille, pour le Québec et pour moi aussi. Mais en même temps, il a vécu sa vie. Il est mort à 93 ans. À la fin, il était dans une résidence semi-autonome, mais il avait quand même ses appartements, son petit rhum, ses cigares et ses journaux.
Q Qu'est-ce que vous allez retenir de lui?
R Sa franchise. Il n'avait pas peur. Quand il rencontrait des gens, il n'était pas intimidé. Je me souviens d'une anecdote. C'était à Murdochville, ça avait brassé, il y avait du brasse-camarade, il y avait eu mort d'homme, même. Et à un moment donné, il y a un policier qui l'a mis en joue avec une mitrailleuse - dans ce temps-là, les policiers avaient des mitrailleuses - et Michel avait le canon sur la poitrine. Il a regardé le jeune policier, puis il lui a dit : «Mais arrête de shaker de même, tu vas me manquer!». Il faut quand même avoir du guts. Je sais bien que Michel savait que le gars ne tirerait pas, mais quand même, c'est quelque chose qui peut arriver. Et ce qui découle du fait qu'il n'avait pas peur, c'est qu'il était franc.
Q Diriez-vous que Michel Chartrand était un des derniers hommes «libres» au Québec?
R Pour moi, un homme libre, c'est quelqu'un qui se donne la permission de dire ce qui pense, comme il veut, quand il veut, qui ne veut jamais faire de compromis avec ses convictions. Michel était de ces hommes-là. Il n'était pas calculateur quand venait le temps d'exprimer ses opinions. Il disait ce qu'il pensait au fur et à mesure. Il assumait tout. Maintenant, il est admiré, c'est un grand personnage. Mais c'est quelqu'un qui a été attaqué souvent, qui s'est retrouvé en prison pendant quatre mois - plus souvent que ça. À un moment donné, il a été condamné pour cinq outrages au tribunal en une minute et demi, je pense, ou quelque chose comme ça, après les événements d'Octobre.
(...) L'époque n'est peut-être pas favorable à l'éclosion de ces personnages-là en ce moment. On vit une époque très prudente, très tiède, plutôt individualiste et assez matérialiste aussi. Michel a eu son essor après la deuxième guerre mondiale. Je ne sais pas si c'est à cause de la guerre, peut-être, mais ici comme en France, comme ailleurs, c'était une époque où les gens se posaient des questions assez fondamentales sur la vie, la mort, comment on peut faire pour améliorer les conditions de vie. Je pense que la guerre a peut-être laissé ça aussi, en héritage, un peu. C'est sûr que Michel se battait contre la grande noirceur. Lui et d'autres. À mon avis, il fait partie en fait des figures de proue, des fondateurs de la révolution tranquille. On parle beaucoup de la génération des années 60 comme étant les auteurs de la Révolution tranquille, mais pour moi, c'est plus ceux qui ont travaillé avant. Je pense au gars de Cité libre, aux gars et filles du Refus global, et du mouvement syndical. Parce qu'à ce moment-là, se battre, c'était beaucoup plus dangereux. C'était le Duplessisme, ce qu'on appelle la Grande noirceur, le catholicisme qui avait vraiment un grand pouvoir, et Michel faisait vraiment partie des fugures de proue de ce mouvement-là. On lui doit en partie la révolution tranquille.
Q De toutes les batailles syndicales qu'il a menées, laquelle pensez-vous qui a été la plus significative?
R Je pense que lui aurait peut-être tendance à parler des accidentés du travail. Ça, je sais que c'était une bataille très importante pour lui. Mais je pense que c'est vraiment les batailles syndicales des années 50. Encore une fois, lui, il parlerait peut-être plus des années 70. Mais pour moi, c'est vraiment là que ça c'est passé. C'est là qu'il y a des grandes luttes qui ont été faites : Asbestos, Murdochville, ces grandes grèves-là, c'est vraiment parmi ces grandes luttes.
Q D'après vous, est-ce que c'est là le plus important héritage qu'il laisse au Québec?
R (...) C'est tout son personnage, aussi. Il ne faut pas sous-estimer le côté coloré de Michel. Il était une figure à laquelle on pouvait s'identifier. Les gens simples, le peuple s'identifiait à Michel. On vivait à travers lui. Il y avait tout un autre aspect que ces luttes. Le côté coloré, son humour. Et le fait qu'il soit toujours là, c'était comme un peu rassurant. Michel n'a jamais lâché, il n'a jamais baissé les bras. Il faisait partie de la famille, Michel. Il y a ça aussi, une espèce d'apport culturel en plus. Une référence.
Q Connaissiez-vous bien le personnage avant de le jouer dans Chartrand et Simonne ?
R Michel, je le connaissais pas mal bien, c'était d'autant plus intimidant de le rencontrer en chair et en os, et de le jouer, aussi. Il a fallu que je prenne ma place, là-dedans. Et c'est pas toujours évident de prendre ça place avec Michel. Il a une grande gueule, Michel. Si tu t'assois à table avec lui et que tu veux placer un mot, il faut que tu parles fort!
Q Qu'est-ce que vous avez appris de plus sur lui en l'interprétant ?
R C'est lui dans son intimité. C'est le fait qu'en plus de toutes ses batailles, c'était quelqu'un d'extrêmement chaleureux, de fraternel, de drôle. Michel, c'était un bon vivant aussi, c'était un épicurien, un gars qui aimait la bonne table, le bon vin. C'était un poète, aussi, il pouvait te réciter des poèmes. (...) C'était un gras très drôle. Il faut dire qu'il avait le sens du spectacle. C'était un bon orateur. J'ai étudié un peu ces méthodes et quand il faisait des discours, souvent, il lâchait une joke ou deux et pendant que les gens riaient et paf, il revenait avec quelque chose de grave. C'était un orateur assez fabuleux.
Q Que faut-il se souvenir de Michel Chartrand, aujourd'hui?
R Le pouvoir de s'indigner. Juste ça : le pouvoir d'être en colère. Il disait souvent ça : «I'm an angry old man». Je me souviens, quand on a sorti la série, ça inspirait beaucoup les jeunes. On peut changer les affaires si on veut, si on s'indigne, si on se fâche et on agit. Souvent, on se sent impuissant. Ou indifférent. Je pense que Michel, c'est le contraire de l'indifférence. On vit une époque assez tiédasse, en ce moment. Sauf quand ça nous touche personnellement. Comme en ce moment, les gens réagissent au budget. Mais je les comprends, il y a des choses dans le budget qui m'horripilent. Mais ce serait le fun qu'on réagisse aussi à d'autres choses que juste ce qui nous touche personnellement. Avoir le sens communautaire, le sens de la collectivité. Je pense que le Québec en a vraiment besoin, en ce moment. Je trouve qu'on vasouille, collectivement. Je ne vois pas trop de quoi on se parle, en gang, à part des scandales et des budgets, je ne vois pas trop où on veut aller. Et là, je parle même pas de souveraineté ou de pas de souveraineté. Je parle de quêtes, des idéaux. (...) (Il faudrait) plus de quêtes, moins d'enquêtes.