Ignatieff change son alignement

Michael Ignatieff a compris. Tombé bien bas dans les sondages, sous le plancher atteint par Stéphane Dion, plombé par une stratégie électoraliste deux fois mise en échec, le chef libéral a changé de capitaine et modifiera ses trios... dans son entourage.


Ceux qui ne croyaient pas à l'existence de problèmes de communication dans son bureau en ont eu pour leur argent, mardi soir : la nomination de Peter Donolo comme directeur de cabinet s'est faite dans le cafouillis le plus total.Je présume qu'il aurait pu effectuer un retour plus glorieux dans le monde politique que par un communiqué publié à la sauvette à 21h38, au moins trois bonnes heures après la diffusion de la nouvelle sur les chaînes d'information continue.M. Donolo a fait ses armes comme directeur des communications sous Jean Chrétien, d'abord dans l'opposition puis au pouvoir jusqu'en 1999. Tous les libéraux qui parlaient, hier, montraient un enthousiasme débordant, trop peut-être, pour la nouvelle recrue.Il est vrai que les députés ont intérêt à bien s'entendre avec le directeur de cabinet de leur chef : c'est lui qui ouvre et ferme la porte du bureau de M. Ignatieff, décide à qui il parle, où il va et combien de temps il y reste.M. Donolo sera aussi responsable des grandes stratégies politiques du Parti libéral : sa première tâche consistera à faire oublier les ridicules menaces de faire tomber le gouvernement malgré l'avis d'à peu près tous les électeurs.En somme, le patron, c'est lui. S'il a bien négocié son mandat, et si M. Ignatieff a enfin compris qu'il lui faut un véritable garde-du-corps politique dont les décisions seront sans appel, M. Donolo aura en effet les pleins pouvoirs.Dans sa période «communicateur», il savait se montrer accessible et affable. Je ne devrais sans doute pas écrire ces lignes de peur qu'il les lise, mais ses nouvelles fonctions n'exigent pas les mêmes qualités.En fait, un bon directeur de cabinet aura plus de défauts que de qualités. Comme Jean Pelletier, il sera plus craint qu'aimé, et ce qu'il ne dira pas ne pourra se rendre dans les médias.Tout comme M. Pelletier, d'ailleurs, M. Donolo arrive à un moment critique. Après le passage de M. Dion, le grenouillage s'est d'abord tassé au fil des sondages positifs du printemps.Mais le mécontentement a refait surface lors du désormais célèbre caucus de Sudbury, début septembre, quand M. Ignatieff, conseillé par un entourage débranché des réalités politiques, a pensé guillotiner le gouvernement conservateur.Sur place, il fallait voir le caquet bas de ces élus qui, la veille de l'annonce, disaient ouvertement aux journalistes qu'ils ne voulaient surtout pas d'élections à court terme.Leur message n'avait pas passé. Pire encore, ils ont appris la décision de leur chef alors qu'ils se croyaient invités à une rencontre de consultation.Depuis, c'est la dégringolade. Les conservateurs frôlent la majorité, la poussée libérale au Québec s'est essoufflée et le Bloc québécois a repris ses positions, selon le sondage CROP publié hier.Avant sa disgrâce, Denis Coderre a critiqué la trop forte présence torontoise autour de son chef. Si M. Donolo arrive lui aussi de Toronto, il a l'avantage sur son prédécesseur Ian Davey de maîtriser le français, une langue qu'il a apprise dans son enfance dans les rues de Montréal.À ceux que ces changements au bureau d'un chef politique laissent indifférents et croient qu'un mauvais chef demeure indécrottablement mauvais, je rappelle que l'arrivée de Jean Pelletier en 1991 a transformé M. Chrétien. On peut aimer ou pas, cela n'a pas d'importance : pour accomplir son devoir, un chef doit d'abord être efficace.Rgiroux@lesoleil.Com