Un policier de Québec fouille les charniers du Kosovo

L'agent Patrice Gagnon a pris congé de son métier de policier pour aider à chercher les victimes de la guerre du Kosovo.

Une dizaine d'années après la fin de la guerre du Kosovo, qui a causé la mort de plusieurs milliers de personnes, dont une majorité de Kosovars d'origine albanaise, les autorités de cet État et certaines organisations internationales tentent toujours de retrouver et d'identifier les victimes civiles de ce conflit. Parmi les artisans de cette tâche colossale, on trouve un policier de la Ville de Québec, le constable Patrice Gagnon, qui a consacré plusieurs années de sa vie à cette enquête d'envergure et qui con­tinue de le faire encore en 2009.


Près de 4000 corps tirés des charniers ont été identifiés jusqu'à maintenant.

L'implication du policier Gagnon au Kosovo débute en 1999 alors qu'il participe, en compagnie de huit autres collègues de la police de Québec, à une mission de paix visant à former les recrues policières du Kosovo et à mettre sur pied un tout nouveau poste de police, à Kosovska Mitrovica, ville située au nord du Kosovo. Cette ville est traversée par une rivière qui sépare la population albanaise et serbe. Le poste de police est aménagé dans un ancien cinéma qui a été endommagé par le conflit.

«Après avoir fait le ménage, installé des tables et des affiches indiquant "Poste de police", nous ouvrons nos portes», dit le constable Gagnon, dans un courriel qu'il a fait parvenir au département des communications de la police de Québec et qui a été transmis au Soleil. «Immédiatement, nous sommes assaillis par les nombreux Albanais qui attendaient patiemment de pouvoir porter plainte pour toutes sortes de crimes dont ils ont été victimes avant, pendant et après la guerre [Je me suis ennuyé de la prise des plaintes à l'accueil du poste à Québec].»



«Étant donné notre effectif réduit, nous étions ouverts seulement de jour. Puis, quelques semaines plus tard, avec du renfort, nous avons pu ouvrir de soir et de nuit. À mon départ, plus de 150 policiers y travaillent.»

Le tour du pays

En mars 2002, le constable Gagnon amorce vraiment la difficile tâche de retrouver et d'identifier les victimes de ce conflit du Kosovo. À la suite des enquêtes menées par le Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie, environ 2000 victimes de la guerre avaient été identifiées et ces enquêtes avaient permis d'accuser l'ancien et défunt président de la Serbie, Slobodan Milosevic, de crimes de guerre en avril 2001. Mais les proches de quelque 6000 disparus continuaient de réclamer justice, ce qui a incité la Mission d'administration intérimaire des Nations Unies au Kosovo (MINUK) de créer une unité d'enquête à cet effet.

Pendant neuf mois, M. Gagnon travaille au sein de cette unité. Durant cette période, il fait le tour du Kosovo afin de trouver des charniers et d'y exhumer les corps des victimes, ou du moins ce qui en reste.



«Les enquêtes nous conduisent partout à travers le Kosovo, indique le policier. Souvent, les informations nous proviennent de survivants, de témoins, de l'OTAN, de la Croix-Rouge, des autorités serbes, etc. Après avoir localisé des sites potentiels, un rapport incluant tous les éléments d'enquête, photos, coordonnées GPS, sketchs, sont soumis à un juge. Lorsque satisfait, celui-ci émet un ordre de la cour nous permettant d'aller creuser les sites potentiels.

«Après neuf mois, je termine ma deuxième mission au Kosovo, satisfait que mes enquêtes aient mené à l'exhumation de plus d'une centaine de corps.»

Long congé sans solde

En 2003, le constable obtient un congé sans solde de la police de Québec et s'envole pour le Kosovo pour trois ans. Pendant cette période, il coordonne un bureau formé de spécialistes en identité judiciaire provenant de partout dans le monde qui a comme mission de trouver les charniers et de procéder à l'exhumation des corps. Il travaille toujours pour l'ONU. Avec le temps, il apprend la langue serbe, ce qui lui permet d'avoir des contacts plus directs et faciles avec des témoins.

«Je m'occupais d'organiser la logistique de l'exhumation. Il fallait aussi coordonner le déminage, les pelles mécaniques, les employés manuels, les ambulances pour le transport des corps, le photographe de l'identité judiciaire, les enquêteurs, l'anthropologue, l'archéologue, la sécurité du site.

«Une fois le corps exhumé, il était transporté à la morgue où il était remis à la section de l'identification. Un rapport complet de l'exhumation était rédigé, incluant les photos, les pièces à conviction saisies, la chaîne de possession et les sketchs. Ils étaient remis au juge et à la police pour la continuation de l'enquête.»

En 2007, le constable Gagnon continue sa quête de vérité pour les Kosovars toujours disparus, mais change d'employeur et d'environnement de travail. Au cours des deux dernières années, il a fouillé, au cours de missions différentes, des dizaines de milliers de pages d'archives du Tribunal pénal international pour l'ex-Yougoslavie à La Haye, aux Pays-Bas, de l'OTAN et de l'Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe, à Varsovie, en Pologne, pour le compte de la Croix-Rouge internationale. Pendant et après la guerre du Kosovo, ces organisations internationales avaient mené leurs propres enquêtes sur le nettoyage ethnique qui s'est produit au Kosovo, mais avaient longtemps refusé de rendre le fruit de leur travail public pour que d'autres entités continuent leurs recherches.