Ghislain Leblond fête ses 65 ans aujourd'hui même, mercredi. Chaleureux, affable, cet ancien sous-ministre des gouvernements fédéral et provincial qui nous accueille chez lui a l'esprit vif et toute sa tête.
Pour son corps, par contre, c'est une autre histoire. Paralysé des jambes et confiné à un fauteuil roulant électrique depuis 2003, il a vu progresser une maladie que les médecins n'arrivent pas à identifier. Elle ressemble à la sclérose latérale amyotrophique (maladie de Lou Gherig), mais sans en avoir le nom.
«J'ai encore de la sensibilité, mais très peu de mobilité», explique celui qui a senti les premiers symptômes au début de l'âge adulte. Le mal a progressé jusqu'à l'obliger, en 1993, à 50 ans, à quitter son emploi de sous-ministre de l'Industrie, du Commerce et de la Technologie.
«Je ne pouvais plus suivre», laisse-t-il tomber en entrevue dans sa belle maison du quartier Saint-Sacrement. Une maison qu'il n'est pas question de quitter. Il a plutôt fait installer un ascenseur à grands frais. «Ça fait du bien à l'âme de vivre dans du beau», dit-il.
Ghislain Leblond y réside avec sa conjointe, sa précieuse aidante naturelle, une femme énergique. Ses deux filles, dont il parle avec amour, ont 33 et 29 ans et vivent à Montréal. «Elles appellent tous les jours. Je suis bien entouré», poursuit M. Leblond, conscient de sa chance. Mais l'entourage a beau être là, sa maladie le terrorise.
S'il décide aujourd'hui de parler publiquement de son histoire, c'est que Ghislain Leblond veut avoir le choix de décider, de façon éclairée, et quand l'heure sera venue, à ce qu'on mette fin à ses jours. «Je ne reconnais à personne une quelconque autorité morale, légale ou professionnelle de décider pour moi», tranche-t-il.
Un contexte balisé
Mais le recours à l'euthanasie ou au suicide assisté doit se faire dans un contexte médico-légal très balisé, précise-t-il, en se basant sur le modèle de la Belgique. C'est cette façon de faire, prévoyant un consentement écrit devant témoins, dont s'inspire aussi la députée bloquiste Francine Lalonde. Elle a présenté la semaine dernière aux Communes le projet de loi privé C-384 qui vise à décriminaliser l'euthanasie et le suicide assisté pour les gens n'ayant aucune perspective de guérison.
Plus tard ce mois-ci, le Collège des médecins rendra publique sa position sur l'euthanasie. Et déjà les opposants se font entendre. Ils craignent des dérapages, les changements dans la relation patient-médecin, ou encore que le droit à l'euthanasie mette une pression sur toutes les personnes malades. Des arguments que rejette M. Leblond. «Je milite pour la liberté de choix, je ne veux rien imposer à personne», dira-t-il souvent au cours de l'entretien.
Pour lui, demander la mort n'est pas seulement un droit, c'est aussi un devoir. «Quand tu n'as plus de qualité de vie, plus aucune autonomie ou intimité, ta vie devient un poids pour toi. Et veux, veux pas, elle l'est aussi pour les autres. Je n'ai pas choisi ma maladie, mais mes proches ont fait le choix de rester avec moi. C'est aussi mon devoir de dire un jour que enough is enough. Je milite pour avoir le droit de mourir dans la dignité et la sérénité.»
La pire crainte
Sa pire crainte serait que sa conjointe décède avant lui. «Les gens font toujours l'hypothèse que je vais lever les pieds avant ma femme, ce ne sera pas nécessairement le cas. La perspective de me retrouver dans un CHSLD n'est pas intéressante.»
À l'inverse, son plus grand voeu, dit-il, serait de mourir comme il le souhaite. «Dans un lit d'hôpital ou ici, bien entouré. On me ferait une injection et ce serait le scénario le plus paisible que par suicide violent», dit-il. Il est d'ailleurs convaincu que l'aide médicale à mourir ferait baisser le nombre de suicides ou de demandes d'aide pour commettre le geste fatal.
En entrevue, ponctuée de plusieurs moments d'émotions, il confie aussi qu'il lui arrive d'espérer mourir subitement dans son sommeil. «Peut-être aussi que j'aurai la chance d'attraper un cancer et de mourir à la merveilleuse maison Michel-Sarrazin.» Sa conjointe est d'ailleurs une employée fraîchement retraitée de la maison de soins palliatifs de Sillery.
C'est donc dire que l'homme est en faveur des soins palliatifs, souvent avancés comme arguments contre l'euthanasie. Mais les soins palliatifs ne règlent pas tout. «Avec la morphine, on enlève la douleur, pas la souffrance», conclut-il.