Résilience à l'indienne: indestructible comme New York

En s'attaquant aux hôtels Taj Mahal Palace et Oberoi Trident, symboles de l'Inde qui gagne, les auteurs des attentats ont frappé fort. En ciblant des hauts lieux de Mumbai où se signent des contrats de plusieurs millions de dollars entre gros poissons de l'industrie et où loge le jet-set international de passage dans la capitale financière, ils ont mis en évidence la vulnérabilité de l'Inde. Même celle des grands a été mise à genoux.


Mais comme a aimé le répéter Ratan Tata, le charismatique grand patron du Tata Group, propriétaire du Taj et désormais mondialement connu comme le père de la petite voiture Nano et comme celui qui a racheté Corus, puis Jaguar et Land Rover :« ils peuvent nous blesser, mais ils ne peuvent pas nous détruire.» En effet, car à Mumbai, ce ne sont pas que les pdg de la stature de Ratan Tata qui ont des nerfs d'acier, un caractère de plomb et la formidable capacité de rebondir devant l'adversité.

Ville de tous les défis



Le Mumbaikar lambda possède aussi ces atouts. Des atouts précieux, voire indispensables, dans une ville comptant 13 millions d'habitants, 19 en incluant ses banlieues, où les petits et grands défis sont aussi nombreux que les déesses et les dieux qui peuplent le panthéon hindou. Où le trafic est torrentiel, le bruit étourdissant, la pollution suffocante, la corruption endémique. Où l'espace, l'eau, l'électricité et les toilettes font cruellement défaut, et où les odeurs ne s'apparentent pas toujours à celle de la cardamome.

Les inondations annuelles qui accompagnent la mousson, les émeutes occasionnelles et même, les bagarres quotidiennes pour monter et descendre du train ont aussi de quoi mettre à l'épreuve la résilience des habitants de la métropole. Mais Mumbai, malgré tous les défis qu'elle pose, c'est le rêve indien. C'est la terre des opportunités et de tous les possibles. C'est vers elle que convergent les migrants économiques des villages du pays en quête d'une vie meilleure.

Ici s'entassent plus de huit millions d'êtres humains dans des habitations informelles faites de bric et de broc que l'ONU qualifie d'insalubres. C'est aussi là où tout est imaginable et où s'écrivent des success stories qui ailleurs, sembleraient invraisemblables. Comme celle de Dhirubhai Ambani qui, pompiste de son état, à la sueur de son front, a créé ce qui est aujourd'hui devenu le plus gros conglomérat privé du sous-continent, Reliance Industries.

Si Delhi, c'est la Washington de l'Inde, Mumbai, c'est New York. Au carré. C'est la ville qui va à 200 kilomètres/heure, 24 heures sur 24, sept jours sur sept. C'est ici qu'hindous, musulmans, chrétiens, sikhs, jaïns et tous les autres se prosternent devant l'autel du dieu roupie. C'est la capitale financière où se brassent de grosses affaires et qui, n'en déplaise à Wall Street, se prépare à devenir un centre financier majeur d'ici quelques années.



Guerroie ou crève

Mumbai c'est une énergie folle et une cadence d'enfer que rien ni personne ne peut ralentir. Sinon peut-être, l'espace d'une journée, un match de cricket important. C'est la ville où les deals se négocient dur. Où la compétition est coupe-gorge et sans merci. Où tout a un prix, où tout s'achète et tout se vend. Où on est pendu au cellulaire pour fixer des rendez-vous importants et où on travaille 14 heures par jour. Ici, pas de place, pas de temps pour les sensibleries et les mauviettes. Les petites natures et les âmes sensibles n'y font pas long feu.

Ici, pas de bien-être social : tu te bas bec et ongles, ou tu crèves. Tout ça, ça vous force à développer des stratégies de survie créatives et ça vous forge un esprit. Même ceux qui critiquent le légendaire «esprit de Mumbai» comme étant une chimère populiste inventée par les médias et les politiciens pour nourrir leurs intérêts font partie de cet esprit et des mille et une contradictions qui le caractérisent. Au même titre que le trafic illégitime qui fleurit devant le temple ou le bidonville qui pousse sur le palace.

Mumbai, c'est la plus grande ville d'Inde, la plus cosmopolite et la plus diverse, comptant certainement parmi les mégalopoles les plus excitantes du monde. Ceux qui y sont nés ou qui ont fait d'elle leur patrie d'adoption en jouant des coudes ou de leurs contacts sont d'une autre trempe. Ils en veulent et ils y vont, en fonçant à pleine capacité. Ils ont du feu dans le ventre, du coeur à revendre et des sourires, en voulez-vous, en v'là. C'est tout ça l'indestructible esprit de Mumbai.