Sans la contribution financière de la maman, Darla et les siens n'auraient pu acheter la grande maison de la rue Williams. Et sans la main tendue de sa fille, la sexagénaire aurait dû vieillir toute seule dans son coin.
L'Église unie Saint-Pierre est une confession protestante installée dans le magnifique temple Chalmers Wesley de la rue Sainte-Ursule, dans le Vieux-Québec. Il y a quelques années, Gérald Doré en devenait le premier pasteur francophone. Après la retraite de ce dernier, Darla Sloan y devient la première femme pasteure.
«Savez-vous que l'Église unie du Canada a nommé une première femme pasteure quatre ans avant même que les Québécoises n'obtiennent le droit de vote?» signale Mme Sloan, pour illustrer la très grande ouverture de la religion protestante, par rapport à la catholique.
Darla Sloan naît prématurément à Regina, en Saskatchewan, d'un père camionneur de laiterie et d'une mère vendeuse de meubles à l'Hudson Bay. Cette naissance précipitée lui vaut une légère paralysie cérébrale qui va influencer toute sa vie.
«À cause de la méchanceté des autres enfants à mon endroit, dit-elle, j'ai pris conscience très jeune de l'injustice et de l'exclusion sociale. Bref, j'avais des préoccupations d'adulte qui ne cessaient de surprendre ma mère.»
Piqûre du Québec
Même si elle a trempé dans la religion dès le berceau, Darla cesse de pratiquer autour de 11 ans, quand elle apprend, dans la Bible, le massacre des enfants de moins de deux ans en Égypte. «Comment un Dieu qui aime tellement les enfants peut-il permettre pareille chose?» se demande-t-elle.
Elle se met ensuite à fréquenter une autre confession protestante plus fondamentaliste. Et le résultat est encore pire. Elle se sent comme une marchandise «défectueuse», lorsqu'un dimanche matin, le pasteur demande aux enfants de prier pour guérir la pauvre fille handicapée.
«Encore aujourd'hui, dans les villes comme Montréal, dit-elle, des gens me tapent derrière l'épaule pour me dire que je vais guérir si je crois en Dieu.» Sauf qu'aujourd'hui, elle n'attend pas cela de Dieu et elle pardonne volontiers à ces «bonnes âmes charitables».
Darla Sloan est brillante à l'école, même si elle est seule dans son coin. «Sans doute que handicapée, on veut absolument se surpasser pour compenser», réfléchit-elle à haute voix. Elle veut s'ouvrir le plus d'horizons possible. De sorte qu'à 15 ans, elle effectue un séjour d'immersion française à Vancouver, là où elle a suivi sa mère après son divorce. C'est l'époque du bilinguisme de Pierre Elliott Trudeau. Plusieurs Canadiens anglais de l'Ouest achètent cette idée d'émancipation.
À 16 ans, elle participe à un échange étudiant pour venir passer 10 jours à Saint-Jean-sur-Richelieu. «J'ai alors le sentiment de revenir chez moi, raconte-t-elle. Je ressens quelque chose que je ne peux expliquer.» Elle déclare à sa mère au retour qu'elle étudiera un jour à l'Université Laval, à Québec.
Elle s'inscrit en sciences à l'Université de la Colombie-Britannique pour devenir médecin. «Mais je sens que ce n'est pas ma voie.» Elle change alors pour la linguistique. Elle marie son premier chum, rencontré à 16 ans. Mais toujours cette idée de Québec derrière la tête, «comme un besoin dont je devais me purger». Elle y passe finalement huit mois en linguistique. Et pleure Laval et Québec durant un an, après son retour à Vancouver.
Cadeau du ciel
L'incroyable se produit. Le ciel lui fait un cadeau. Son mari courtier en douanes, pourtant unilingue anglais, se voit offrir un emploi à Québec. Son travail consistera à transiger avec les États-Uniens.
Le couple s'installe à Sainte-Foy, où Darla entreprend un doctorat en linguistique avec le sujet de thèse suivant : Comment la Révolution tranquille a-t-elle influencé la langue parlée du Québec?
«J'avais tout ce que je voulais, dit-elle. Mais je me cherchais encore. J'éprouvais un sentiment de vide. Alors que mon mari, pas du tout.» Le couple a donc éclaté au bout de deux ans à Québec, quand le mari a accepté une offre d'emploi à Ottawa.
Elle déménage dans le Vieux-Québec où elle redécouvre l'Église unie, rue Sainte-Ursule. Un bon dimanche matin, elle entre dans le temple et se cache dans un coin pour le culte anglais. «Les cantiques de mon enfance me reconnectent», se souvient-elle. Le pasteur anglophone devient son maître. Elle est confirmée en 1996. Elle fréquente à la fois les paroisses anglophones et francophones et prêche dans les deux langues.
Son père lui téléphone en 2001 de Regina pour lui dire qu'il a rêvé qu'elle devenait pasteure. Peu de temps plus tard, elle devient pasteure de la paroisse anglophone de New Richmond, en Gaspésie, où elle passera sept ans. Et en juillet 2008, elle devient pasteure francophone à Québec.
Elle a entre-temps épousé un autre homme connu durant sa formation de pasteure à Montréal. Et cet homme est pasteur lui aussi. Non seulement les «prêtres» protestants peuvent-ils se marier, mais ils peuvent en plus se marier entre eux...